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Kurdes, Syriaques, et cursus scolaire: en Syrie, l'autonomie divise parfois


Mercredi 12 septembre 2018 à 12h13

Qamichli (Syrie), 12 sept 2018 (AFP) — Les autorités semi-autonomes kurdes font face à une montée de la grogne parmi les chrétiens syriaques du nord-est de la Syrie après la fermeture de plusieurs écoles où le programme scolaire du régime est enseigné.

Les divergences au sein de la petite communauté syriaque viennent illustrer les divisions dans les territoires kurdes, entre les défenseurs de la semi-autonomie acquise à la faveur du conflit déchirant la Syrie depuis 2011, et les partisans des autorités de Damas.

Cette autonomie de facto remonte à la mi-2012 quand les troupes du régime s'étaient retirées du nord et de l'est syrien. La minorité kurde a alors progressivement construit ses propres autorités locales, avec ses forces de police, ses impôts et un cursus scolaire alternatif.

Le programme est enseigné dans les écoles kurdes dans la langue de la communauté, mais les établissements syriaques peuvent donner cours dans leur dialecte, dérivé de la langue du Christ, l'araméen.

Certaines écoles de cette communauté ancestrale ont résisté à la règle. Les élèves y suivaient le cursus officiel du régime de Bachar al-Assad, alors les autorités locales ont fermé 14 écoles dans les villes de Qamichli, Hassaké et Malikiya.

Fin août, des dizaines de Syriaques ont manifesté à Qamichli pour dénoncer la fermeture des écoles, brandissant des drapeaux syriens et scandant des slogans à la gloire du président Assad.

Peine perdue. Lundi, les écoliers ont effectué leur rentrée dans la région, mais ces 14 établissements sont restés fermés.

"L'enseignement dans la langue maternelle est un des droits de toutes les communautés de la région", indique le professeur de sciences Danny Saliba, à Qamichli.

Mais "il n'existe aucune université, en Syrie ou à l'étranger, qui reconnaît le cursus ou le diplôme" décerné par les autorités kurdes, nuance-t-il. "Le problème c'est (l'absence de) reconnaissance du cursus", insiste l'enseignant.

- Légitimité de Damas -

La question est d'autant plus sensible que le régime de Damas n'a jamais reconnu cette autonomie de facto des Kurdes et cherche à reconquérir tout le pays. Il a déjà mis la main sur près des deux-tiers de la Syrie, avec des offensives meurtrières contre les rebelles et les jihadistes.

Acculés, les Kurdes n'ont eu d'autres choix que d'entamer fin juillet des négociations avec Damas, espérant préserver un système "décentralisé".

La région semi-autonome kurde, qui s'étend sur près de 30% du territoire syrien, accueille plusieurs groupes ethniques, notamment, des arméniens, des arabes et des syriaques. Ces derniers représentent 15% des 1,2 million de chrétiens de Syrie.

Certaines organisations et factions armées syriaques appuient l'administration semi-autonome kurde. Mais une milice baptisée Sutoro a combattu auprès des forces du régime, notamment contre les jihadistes du groupe Etat islamique (EI).

Quant au clergé syriaque, il soutient l'autorité centrale de Damas.

A l'intérieur de l'église de la Vierge Marie à Qamichli, le père Saliba al-Abdallah est pour le moins dubitatif à l'égard du projet éducatif kurde.

"Qui reconnaît ce cursus à l'international? Y a-t-il un Etat qui reconnaît la situation actuelle dans le canton de Jaziré", s'interroge-t-il, en référence à sa province de Hassaké, dominée par les Kurdes.

"La légitimité de nos écoles vient de la légitimité du gouvernement syrien", insiste-t-il.

Les négociations se poursuivent entre les opposants au cursus éducatif local, et les autorités kurdes, pour tenter de trouver une solution.

- "Discriminations" -

Les chrétiens Syriens sont largement perçus comme des partisans du régime Assad, bien que certains opposants parmi les plus réputés soient également issus de la minorité.

Mais la polémique actuelle dans les territoires semi-autonomes concerne aussi la question fondamentale de l'autodétermination, estiment certains. Des décennies durant, les Kurdes eux-mêmes ont souffert de discriminations sous le pouvoir de Damas.

"Le cursus de l'Etat syrien est entaché de discriminations", assène Elizabeth Kouriyat, présidente de l'association culturelle syriaque, liée à l'administration semi-autonome.

"Il y avait de nombreuses distorsions concernant l'histoire et la langue syriaques", poursuit-elle. "Le syriaque était enseigné comme langue liturgique. C'était seulement pour les prières".

"Il y a une grande différence quand un enfant suit un enseignement dans sa langue maternelle, qui le lie à son peuple, sa terre et son Eglise", ajoute-t-elle.

Dans un centre de langue syriaque, Samira Hanna, 47 ans, accueille des étudiants venus acquérir, en habit traditionnel, l'alphabet de leurs ancêtres.

Elle se réjouit d'exercer ce métier et de la renaissance d'une langue jusque-là en voie d'extinction.

"Par le passé, toutes les matières étaient enseignées en arabe dans les écoles publiques", se souvient-elle. "Désormais, les mathématiques, l'histoire et la géographie sont inculqués en syriaque".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.