Mercredi 23 novembre 2011 à 17h39
ISTANBUL, 23 nov 2011 (AFP) — Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a présenté mercredi des excuses au nom de l'Etat turc pour la répression meurtrière de la rébellion kurde du Dersim (est) en 1937-1938, un mea culpa inédit pour la Turquie mais motivé d'abord par des considérations politiques.
"S'il est nécessaire que l'on s'excuse au nom de l'Etat, s'il existe une telle littérature (confirmant les exactions, ndlr) je m'excuserai et je m'excuse", a dit M. Erdogan lors d'un discours devant des membres de son Parti de la justice et du développement (AKP, issu de la mouvance islamiste) à Ankara.
Citant un document officiel de l'époque, le Premier ministre a évoqué un bilan de 13.806 tués lors des bombardements aériens et terrestres suivis d'exactions et d'exécutions sommaires dans la province du Dersim (ensuite renommée Tunceli), peuplée de Kurdes alevis -- une confession musulmane hétérodoxe, proche du chiisme.
Les tribus kurdes du Dersim, une région montagneuse, se sont rebellées contre l'autorité d'Ankara au printemps 1937, sous la conduite du chef de tribu Seyit Riza, enclenchant un processus de répression qui se poursuivit jusqu'à la pendaison des meneurs de la révolte et à l'exode forcé de dizaines de milliers d'habitants.
Les historiens évoquent en général un bilan de plusieurs dizaines de milliers de morts.
"Le Dersim constitue l'un des événements les plus tragiques et douloureux de notre histoire contemporaine", a souligné M. Erdogan, estimant que toute la lumière devait être faite "avec courage" sur ce dossier.
Le Premier ministre, qui a aussi mentionné 11.000 personnes déplacées, a ainsi brisé le silence officiel de la Turquie sur la répression du Dersim.
Pour certains analystes cependant, cette ouverture à l'autocritique manque de sincérité et vise avant tout à mettre à mal l'opposition.
"Le gouvernement manipule cet événement, il ne veut pas vraiment ouvrir le livre des massacres commis en Turquie, sinon il lui faudrait parler aussi des Arméniens. (...) Il reste attaché à l'idéologie officielle", affirme le sociologue Hakan Yücel, spécialiste de l'alévisme à l'université stambouliote de Galatasaray.
La Turquie, régulièrement appelée par la communauté internationale à reconnaître le caractère génocidaire des massacres d'Arméniens survenus en Anatolie dans les dernières années de l'empire ottoman (1915-1917), qui ont fait plus d'un million et demi de morts selon les Arméniens, refuse ce terme.
Pour M. Yücel, les déclarations de M. Erdogan visent avant tout à déstabiliser le principal parti d'opposition au Parlement, le CHP (Parti républicain du peuple), fondé par Atatürk et qui a gouverné sans partage la Turquie jusqu'en 1946, mal à l'aise par rapport à cet épisode de l'histoire turque.
"Ceux qui n'ont pas le courage de faire un travail de mémoire sur les pages sombres de leur histoire ne peuvent bâtir d'avenir", a martelé M. Erdogan, appelant le CHP à assumer ses responsabilités dans cette affaire.
Un des cadres du CHP, Onur Öymen, avait fait scandale en 2009 en prenant la défense de la répression du Dersim. Il a depuis quitté le parti, actuellement dirigé par Kemal Kiliçdaroglu, lui-même originaire du Dersim.
Récemment, un député du parti de M. Erdogan a proposé de débaptiser l'aéroport international Sabiha Gökçen, du nom de la fille adoptive de Mustafa Kemal Atatürk, fondateur de la République turque en 1923, qui avait activement participé en tant que pilote aux bombardements du Dersim.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.