Dimanche 7 mai 2023 à 05h03
Istanbul, 7 mai 2023 (AFP) — Il est l'anti-Recep Tayyip Erdogan et se rêve en sauveur d'une démocratie turque abîmée par vingt années de pouvoir sans partage.
Kemal Kiliçdaroglu, candidat de l'alliance de l'opposition turque à la présidentielle du 14 mai, promet s'il est élu de rompre avec l'ère du président Erdogan.
"J'apporterai le droit et la justice à ce pays. J'apporterai l'apaisement", a-t-il lancé mardi dans l'est de la Turquie.
Face au chef de l'Etat et à ses élans de tribun maniant volontiers l'invective, cet ancien haut fonctionnaire de 74 ans, à la tête depuis 2010 du Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), a longtemps pâti d'une image d'homme d'appareil dépourvu de charisme.
Mais son entrée en campagne lui a permis d'imprimer un nouveau style.
Chaque soir ou presque, il délivre sur les réseaux sociaux une vidéo tournée depuis son bureau, son salon ou sa cuisine, celle de monsieur Tout-le-Monde avec son frigo couvert de magnets et ses torchons à fleurs, loin des dorures du palais présidentiel.
Plusieurs sont devenues virales: fin avril, il bouscule un tabou en évoquant face caméra son appartenance à l'alévisme, une branche hétérodoxe de l'islam que certains sunnites rigoristes jugent hérétique.
Son message sera très largement salué.
- "Bay Kemal" -
L'opposant N.1 au président sortant, silhouette menue et fine moustache blanche, se pose aussi en "Monsieur Propre" de la politique turque, dénonçant depuis des années la corruption qui gangrène selon lui les sommets de l'Etat.
Président, il continuera de payer ses factures d'eau et d'électricité, promet-il et réintègrera le palais présidentiel historique de Çankaya plutôt que d'emménager dans le fastueux palais de 1.100 pièces bâti par M. Erdogan sur une colline boisée protégée d'Ankara.
"Il est comme nous. Il comprend les gens", s'enthousiasmait samedi Aleyna Erdem, 20 ans, lors d'un grand meeting du candidat à Istanbul.
Kemal Kiliçdaroglu s'engage aussi à ne pas confisquer le pouvoir: après avoir "restauré la démocratie" et limité les pouvoirs du président, il rendra son tablier pour s'occuper de ses petits-enfants, assure-t-il.
"Je ne suis pas homme d'ambitions", affirmait-il en avril au magazine Time.
Depuis qu'il a pris la présidence du CHP, fondé par le père de la Turquie moderne Mustafa Kemal Atatürk, il a transformé la ligne du parti en gommant notamment son image très laïque.
Fin 2022, il a ainsi proposé une loi pour garantir le droit des femmes turques à porter le foulard, offrant des gages à l'électorat conservateur.
Le candidat, né dans une famille modeste de la province historiquement rebelle de Dersim (rebaptisée Tunceli, en Anatolie orientale) à majorité kurde et alévie, tente en parallèle de séduire les Kurdes, dont beaucoup le surnomment affectueusement "Piro", mot kurde pour évoquer un grand-père ou un chef religieux alévi.
Le président Erdogan l'affuble, lui, du surnom "Bay Kemal" ("Monsieur Kemal"), en utilisant pour s'en moquer le terme "bay" traditionnellement réservé aux étrangers.
Depuis le début de la campagne, le chef de l'Etat l'a rebaptisé "Bay Bay Kemal" (prononcé "Bye Bye Kemal"), affirmant que les Turcs "l'enterreront" avec leur vote au soir du 14 mai, en dépit de sondages plaçant M. Kiliçdaroglu en position de favori.
- "J'arrive" -
Cet économiste de formation, nommé à la tête de la puissante Sécurité sociale turque dans les années 1990, a pourtant longtemps été jugé inapte à remporter une élection.
Mais la double victoire en 2019 de candidats du CHP aux élections municipales à Istanbul et Ankara, revers inédit pour Recep Tayyip Erdogan et son parti, lui est due pour beaucoup.
Fort de ce succès, le chef du CHP est parvenu cette année à unir derrière lui six formations de l'opposition et à s'adjuger en prime le soutien du principal parti prokurde.
Il sait aussi s'entourer: les très populaires maires CHP d'Istanbul et d'Ankara, Ekrem Imamoglu et Mansur Yavas, qu'il veut nommés vice-présidents, sont de presque tous ses déplacements de campagne.
Kemal Kiliçdaroglu doit d'ailleurs au maire d'Istanbul la signature de ses meetings, le "coeur avec les doigts", qu'il adresse à ses partisans, les yeux plissés de malice.
Le candidat de l'opposition, dont l'un des coups d'éclat est la longue marche de 420 km qu'il a menée en 2017 entre Ankara et Istanbul pour dénoncer l'incarcération d'un député de son parti, aime prôner la patience.
Une de ses affiches de campagne sonne toutefois aux oreilles de ses partisans comme la fin d'une longue attente: "Je suis Kemal, j'arrive !"
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.