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Jusqu'où ira la Turquie contre le référendum kurde d'Irak?


Mardi 26 septembre 2017 à 16h41

Istanbul, 26 sept 2017 (AFP) — La Turquie a réagi avec fureur contre le référendum d'indépendance du Kurdistan irakien, affirmant que toutes les options, y compris militaire, étaient sur la table. Mais en dépit de la rhétorique martiale, Ankara semble retenir ses coups.

Si le scrutin qui s'est tenu lundi est non contraignant, Ankara redoute que la création d'un Etat kurde en Irak ne fasse tache d'huile, d'abord dans le nord de la Syrie, puis en Turquie elle-même, où l'armée combat une sanglante rébellion séparatiste kurde.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan est furieux contre le leader de la province autonome kurde du nord de l'Irak, Massoud Barzani, qui a maintenu le référendum malgré les appels de la Turquie à l'annuler.

"Toutes les options sont sur la table en ce moment", a déclaré mardi M. Erdogan, en référence à une action militaire, alors que l'armée turque effectue depuis une semaine des manoeuvres à la frontière irakienne.

Le chef de l'Etat turc a aussi menacé de fermer la frontière terrestre entre la Turquie et l'Irak, ainsi que "les vannes" de l'oléoduc qui permet au Kurdistan irakien d'exporter, via le port turc de Ceyhan (sud), la majeure partie de son pétrole.

"Dès que nous aurons fermé les vannes, ce sera terminé. Tous leurs revenus s'évaporeront", a-t-il dit, sans avancer de date pour l'application d'une telle mesure.

- Arme à double tranchant -

En étant de loin la principale voie d'exportation du brut kurde d'Irak, la Turquie dispose en théorie d'un puissant levier lui permettant d'asphyxier économiquement Erbil.

Une telle mesure reviendrait à "boucher les artères coronaires irriguant le coeur du Kurdistan", souligne Anthony Skinner, consultant à Verisk Maplecroft. L'indépendance du Kurdistan irakien serait alors "dénuée de sens", ajoute-t-il.

Outre cette arme, la Turquie dispose de tout un arsenal de mesures de rétorsion, souligne Ziya Meral, du centre d'analyse historique et de recherche sur les conflits de l'armée britannique (CHACR), énumérant des contrôles frontaliers accrus ou l'annulation de vols.

Si la Turquie fermait sa frontière, a déclaré M. Erdogan mardi, les habitants du Kurdistan irakien "ne trouver(aient) plus rien à manger, ni de quoi se vêtir".

Mais en dépit de tous ces leviers, Ankara doit faire preuve de prudence, car des sanctions pourraient avoir de graves répercussions économiques pour la Turquie, soulignent les deux experts.

Sous l'impulsion de MM. Erdogan et Barzani, Ankara et Erbil ont noué ces dernières années des relations commerciales fructueuses, à tel point que la région kurde d'Irak est devenue, après l'Allemagne, le deuxième marché pour les exportations turques.

Ankara doit donc prendre en compte les 1.300 entreprises turques qui opèrent au Kurdistan irakien, ainsi que l'importance du commerce transfrontalier pour la création d'emplois dans le sud-est de la Turquie, note M. Skinner.

Par conséquent, souligne-t-il, "imposer de lourdes sanctions contre le (Kurdistan irakien) pourrait se retourner" contre la Turquie.

- 'Sang-froid' -

Ankara et Bagdad, dont les relations ont été exécrables ces derniers mois, multiplient les contacts, ainsi qu'avec Téhéran, qui s'oppose également à la création d'un Etat kurde.

M. Erdogan a mis en garde les autorités kurdes d'Irak contre un risque d'isolement, soulignant que le gouvernement israélien était le seul acteur régional à soutenir leur initiative.

Mais pour Ankara, l'une des principales inconnues reste la position de la Russie. Moscou a souligné l'importance de l'intégrité territoriale de l'Irak, mais le géant russe de l'énergie, Rosneft, a annoncé des contrats sur la construction d'oléoducs au Kurdistan irakien qui permettraient à ce dernier de réduire sa dépendance vis-à-vis de la Turquie.

La Turquie doit se garder "de commettre une erreur de calcul et pousser Erbil à se rapprocher davantage de la Russie", estime M. Skinner.

Sur la scène intérieure, le gouvernement turc est aussi sous la pression de ses alliés ultranationalistes (MHP) adeptes d'une approche radicale et d'une frange médiatique va-t-en-guerre.

Mais d'autres commentateurs exhortent Ankara à adopter une approche plus pragmatique. "La Turquie devrait agir avec sang-froid", écrit ainsi mardi le chroniqueur Taha Akyol dans le quotidien Hürriyet.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.