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Iran: inquiétudes pour deux journalistes emprisonnées après avoir révélé l'affaire Amini


Mercredi 2 novembre 2022 à 15h43

Paris, 2 nov 2022 (AFP) — Le sort de deux journalistes iraniennes, qui ont contribué à rendre publique l'affaire Mahsa Amini et sont emprisonnées en Iran depuis un mois, suscite de plus en plus l'inquiétude des défenseurs des droits humains, qui réfutent les accusations d'espionnage visant les deux journalistes.

Les journalistes Niloufar Hamedi, 30 ans, et Elaheh Mohammadi, 35 ans, ont été arrêtées au début des grandes manifestations qui ont éclaté en Iran après la mort le 16 septembre de Mahsa Amini.

Cette Kurde iranienne de 22 ans avait été arrêtée trois jours plus tôt par la police des moeurs, qui lui reprochait d'avoir enfreint le code vestimentaire strict de la République islamique, imposant notamment le port du voile en public.

Les manifestations, qualifiées d'émeutes par les autorités iraniennes, sont sans précédent en Iran par leur ampleur et leur nature depuis la Révolution islamique de 1979.

Mme Hamedi, du journal Shargh, qui s'était rendue dans l'hôpital où Mahsa Amini se trouvait dans le coma avant de décéder, a été arrêtée le 20 septembre, selon sa famille.

Mme Mohammadi, du quotidien Ham Mihan, s'était rendue à Saghez (province iranienne du Kurdistan), ville d'origine de Mahsa Amini, pour couvrir les funérailles de la jeune femme, où avait aussi eu lieu l'une des premières manifestations de ce grand mouvement de contestation. La journaliste a été arrêtée le 29 septembre.

Les deux journalistes sont détenues dans la prison d'Evine à Téhéran, selon des messages sur les réseaux sociaux postés par leurs familles.

Elles font partie des 51 journalistes arrêtés en Iran lors d'une vague d'arrestations menée par les autorités depuis le déclenchement des manifestations, selon le Comité pour la protection des journalistes (CPJ). Seuls 14 ont depuis été libérés sous caution.

Le Center for Human Rights in Iran (CHRI), basé à New York, s'est dit dans un communiqué "profondément préoccupé" par la situation des deux journalistes, qui selon le groupe, "sont détenues sans respect des procédures juridiques reconnues internationalement et risquent des années de prison si elles sont condamnées".

Le CHRI exhorte la communauté internationale à se mobiliser pour ces deux femmes, "qui subissent sans protection la fureur de l'appareil sécuritaire iranien, tout comme les milliers d'individus détenus arbitrairement et illégalement en Iran".

La semaine dernière, un communiqué conjoint du ministère du Renseignement iranien et de la branche des Renseignements des Gardiens de la Révolution - l'armée idéologique de Téhéran - a accusé les deux journalistes d'être des espionnes et d'avoir utilisé leur statut de journalistes comme une "couverture".

- "Chasse aux sorcières" -

Le communiqué affirme que les deux femmes ont suivi des programmes de formation à l'étranger. Il les accuse aussi d'avoir encouragé la colère de la famille de Mahsa Amini et les manifestations qui ont éclaté après l'enterrement de la jeune femme.

"Il doit aussi être mentionné que les deux (journalistes) ont été les premières sources qui ont permis de fabriquer ces informations pour les médias étrangers", accuse encore le communiqué.

Selon le CPJ, ce communiqué signifie que les deux femmes "pourraient risquer la peine de mort si elles sont inculpées formellement et condamnées pour espionnage".

Pour le CHRI, ce communiqué est "plein d'accusations non fondées", notamment une accusation fausse affirmant que Mme Hamedi avait publié sur son compte Twitter une photo de Mahsa Amini qui est devenue virale sur les réseaux sociaux.

"Cette chasse aux sorcières est une lâche tentative de la République islamique de coller sur le dos des deux journalistes ses propres défaillances, de détourner l'attention des politiques répressives qui ont donné naissance à ce mouvement de protestation spontané et grandissant", a commenté le directeur du CHRI, Hadi Ghaemi.

Dimanche, plus de 300 journalistes et photojournalistes iraniens ont signé un communiqué critiquant les autorités pour avoir "arrêté (leurs) confrères et les avoir privés de leurs droits" notamment l'"accès à leurs avocats".

Dans une déclaration publiée dimanche dans le journal Etemad, l'Association des journalistes de Téhéran a rejeté comme "illégale" et "en conflit avec la liberté" de la presse "l'approche sécuritaire" envers le métier de journalise.

Interrogé sur "un grand nombre de journalistes et de photographes détenus", le directeur général des médias locaux auprès du ministère de la Culture, Iman Shamsaï, a de son côté affirmé, dans une interview avec l'agence de presse Isna, que "personne n'a été arrêté à Téhéran pour activité médiatique".

La présidente du CPJ, Jodie Ginsberg, accuse l'Iran d'être devenu "en un temps record l'un des principaux geôliers de journalistes au monde" et de "tenter d'étouffer l'un des moments les plus décisifs de l'histoire de ce pays".

"Les autorités iraniennes doivent libérer immédiatement et inconditionnellement tous les journalistes détenus", a-t-elle ajouté.

sjw/lp/cf/dth

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.