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Irak: un premier pas vers une sortie de crise, et après?


Vendredi 14 octobre 2022 à 13h11

Bagdad, 14 oct 2022 (AFP) — L'Irak a désormais un président de 78 ans et un Premier ministre issu du sérail chiite traditionnel. Après une année de blocage total, marquée par des violences meurtrières, le pays a fait un pas vers la sortie de crise. Mais les défis abondent.

- Fin de l'impasse? -

Dominé par les factions chiites proIran du Cadre de coordination, le Parlement irakien a élu jeudi un nouveau président de la République, l'ancien ministre Kurde Abdel Latif Rachid.

Le chef de l'Etat a immédiatement chargé Mohamed Chia al-Soudani de former un gouvernement. Une frénésie qui tranche avec la stagnation institutionnelle de l'année écoulée, les grands partis n'arrivant pas à s'accorder depuis les législatives d'octobre 2021.

Dans un pays multiethnique et multiconfessionnel, abonné aux tractations interminables qui font et défont les alliances, des divisions pourraient resurgir et compliquer la formation du gouvernement.

"Quand débuteront les discussions sur qui devient ministre, mais surtout qui a le droit à plus d'influence sur les hauts fonctionnaires, les agences gouvernementales, les caisses de l'Etat, l'impasse et la fragmentation" politique vont réapparaître, résume Renad Mansour, du centre de réflexion Chatham House.

"Nous aurons encore un gouvernement de partage, où les partis politiques essayeront de diviser les richesses du pays", ajoute-t-il.

L'enjeu est de taille. Grâce aux exportations pétrolières, 87 milliards de dollars dorment dans les coffres de la Banque centrale, attendant la formation du gouvernement et l'adoption d'un budget pour être investis -- idéalement dans des projets d'infrastructure pour reconstruire un pays ravagé par les guerres.

Jeudi, M. Soudani a promis "des réformes économiques" pour revitaliser l'industrie, l'agriculture et soutenir le secteur privé. Il s'est engagé à fournir à la jeunesse "des opportunités d'emplois et des logements".

- Un calme précaire? -

Reste à savoir si le gouvernement aura les coudées franches face au tempétueux chef religieux Moqtada Sadr, capable avec un seul tweet de faire descendre dans la rue des dizaines de milliers de manifestants.

Ordonnant en juin la démission de ses 73 députés, il a abandonné le Parlement à ses adversaires du Cadre de coordination, première force de l'assemblée avec 138 députés (sur 329).

Cette alliance de factions proIran regroupe notamment les anciens paramilitaires du Hachd al-Chaabi et un rival historique de M. Sadr, l'ancien Premier ministre Nouri al-Maliki.

Evoquant le "silence prudent" du Courant sadriste, le politologue Ali al-Baidar s'interroge sur ce qu'il cache.

S'agirait-il de "laisser sa chance à la classe politique" quitte à l'attaquer en cas de manquements? Ou serait-il le fruit "d'un accord, d'une conciliation, offrant au Courant certaines positions" gouvernementales?

L'épreuve de force entre les deux camps a atteint son paroxysme le 29 août: plus de 30 partisans sadristes ont été tués dans des affrontements contre l'armée et les forces du Hachd al-Chaabi, intégrées aux troupes régulières.

Pour M. Mansour, la situation reste "précaire". "Sadr pourrait essayer de perturber (la scène politique) et utiliser la carte des manifestations pour remplacer le capital politique perdu" avec son retrait parlementaire.

Objectif: "imposer des élections anticipées en utilisant comme toujours une instabilité contrôlée pour conserver" un pouvoir de négociation, ajoute le chercheur.

Mais, nuance-t-il, les récentes "erreurs" de M. Sadr le placent en "position difficile".

- Espoir de changement? -

Pronostiquant une formation du gouvernement sans accroc au vu du "consensus" affiché jeudi par les groupes politiques, le politologue Ali al-Baidar souligne les "missions colossales" attendant les autorités.

Car dans ce pays de 42 millions d'habitants extrêmement riche en pétrole, près de quatre jeunes sur dix sont au chômage et un tiers de la population vit dans la pauvreté.

M. Baidar espère que l'intérêt "grandissant de la communauté internationale pour la situation politique" en Irak "contraindra la classe politique à améliorer ses performances".

"Le système politique irakien ignore les besoins du peuple irakien", a déploré début octobre l'émissaire de l'ONU, Jeanine Hennis-Plasschaert: "L'omniprésente corruption est une cause principale du dysfonctionnement. Et en toute franchise, aucun dirigeant ne peut s'en dédouaner".

Renad Mansour se montre pessimiste: "La vie publique restera telle quelle. Les gens seront toujours privés de leur droits fondamentaux, l'accès à l'eau potable, à un système de santé, à l'électricité".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.