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Irak: la colère gronde au Kurdistan, frappé par une crise politique et economique


Mardi 19 decembre 2017 à 12h59

Souleimaniyeh (Irak), 19 déc 2017 (AFP) — Exaspérés par l'incapacité du gouvernement régional à juguler une crise économique sans précédent, des manifestants ont brûlé mardi, pour la seconde journée, les sièges des partis politiques, sans distinction, au Kurdistan irakien.

Ces protestataires entendent marquer leur défiance vis-à-vis des formations qui dominent la vie politique du Kurdistan depuis des décennies, qu'ils accusent de corruption tout en exigeant la démission du gouvernement de cette région autonome, affaibli par le récent fiasco du référendum d'indépendance.

Dans la ville de Souleimaniyeh, les forces de sécurité ont tiré mardi en l'air quand les manifestants se sont dirigés vers la place du Sérail, a constaté un correspondant de l'AFP.

"Ce matin, elles ont encerclé les manifestants au centre de Souleimaniyeh puis ont tiré en l'air pour les disperser", a raconté à l'AFP Nazar Mohammmad, un militant à l'initiative des manifestations.

Ces forces de sécurité ont établi des barrages sur les axes principaux et près des sièges des partis politiques.

Des manifestations ont également eu lieu à Rania, Kifri et Halabja, dans la province de Souleimaniyeh, ainsi que Koysinjaq, dans celle d'Erbil.

A Koysinjaq, les manifestants ont, selon des témoins, mis le feu au bureau du maire, ainsi qu'aux sièges du Parti démocratique du Kurdistan (PDK) de Massoud Barzani), de l'Union islamique et de l'Union Patriotique du Kurdistan (UPK fondée par Jalal Talabani).

A Kifri, des centaines de manifestants ont pris le contrôle du siège du PDK après avoir jeté des pierres.

- 'Des incapables' -

"Vous êtes des incapables. Incapables de défendre les régions disputées et incapable d'administrer la région du Kurdistan", a déclaré un des manifestants.

A Halabja, des centaines de manifestants sont allés jusqu'au siège du parti de l'UPK et ont affronté les membres des forces des sécurité.

La veille, les protestataires avaient déjà incendié les permanences du PDK, de l'UPK, du parti Goran, de l'Union islamique et du Groupe islamique à Piramagroun, à 30 km de Souleimaniyeh.

Pour Issam al-Fayli, professeur de Sciences politiques à l'Université d'al Moustansariya à Bagdad, "ces manifestations visent tous les politiciens car les gens ont le sentiment que ces derniers les font vivre dans l'injustice".

"C'est la première fois qu'il y a des manifestations contre toutes les personnalités kurdes et je crois que l'on va vers un changement radical car il n'y a pas actuellement de politicien capable de gérer le dossier politique et de régler le problème des citoyens", a-t-il ajouté.

La crise économique qui couvait déjà au Kurdistan s'est approfondie à la suite du référendum d'indépendance organisé par Massoud Barzani le 25 septembre dernier malgré la ferme opposition du pouvoir central et de la communauté internationale.

Le "oui" à l'indépendance l'a largement emporté, mais Bagdad n'a jamais reconnu ce résultat ni le scrutin lui-même.

Dans la foulée, les forces gouvernementales ont fait mouvement en direction du Kurdistan irakien et se sont emparées de territoires que Bagdad et Erbil se disputaient, notamment la riche province pétrolière de Kirkouk, réduisant de moitié les revenus pétroliers de la région autonome.

Le pouvoir central, en position de force, a en outre fermé l'espace aérien international pour les liaisons avec les deux aéroports du Kurdistan: beaucoup de compagnies privés kurdes et étrangères ont par la suite fermé leurs portes.

- Salaires amputés -

Selon les habitants interrogés par l'AFP à Erbil, les salaires ont été amputés et, dans le même temps, alors que l'hiver s'installe, le prix du kérosène pour le chauffage a atteint 150 dollars le baril (200 litres), le double d'il y a deux ans.

Il n'y a qui plus est que quatre heures d'électricité par jour et les gens n'ont plus les moyens de payer l'abonnement au générateur collectif.

Pour Issam al-Fayli, "il est du devoir du gouvernement de Bagdad de mettre fin à la crise car si le gouvernement autonome s'effondre cela va créer un vide politique qui va affecter la stabilité du pays".

Mais ça n'est pas la direction que prend le gouvernement fédéral, qui souhaite réduire de 17 à 12,6% la part du budget alloué à la région autonome.

Pour le porte-parole du gouvernement irakien, Saad al-Hadithi, "ce qui se passe au Kurdistan est la sulcature de la mauvaise politique du gouvernement autonome et des partis" de la région.

"La volonté de décider en solo sans tenir compte de Bagdad, d'exporter son pétrole sans notre accord, d'agir sans aucune transparence et sans contrôle des dépenses et des recettes sont la cause de l'incapacité du gouvernement régional à répondre aux besoins des gens".

"Nous (lui) conseillons (...) de réguler la crise en coopération avec le gouvernement fédéral", a fait valoir M. al-Hadithi.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.