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Irak: l'exaspération des médias kurdes face aux plaintes pour diffamation


Lundi 3 janvier 2011 à 09h42

SOULEIMANIYEH (Irak), 3 jan 2011 (AFP) — Cibles de dizaines de plaintes en justice pour diffamation, de nombreux médias du Kurdistan irakien dénoncent une campagne d'intimidation des autorités de cette région autonome, et une atteinte à la liberté de la presse.

Ahmed Mera, rédacteur en chef de Lvin, a recensé pas moins de 27 plaintes en justice contre son magazine, parmi lesquelles "au moins sept à caractère politique" qui ont été déposées par le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) du président de la région, Massoud Barzani.

Elles portent sur différents articles publiés par Lvin, dont un qui traitait du salaire de M. Barzani.

"Le but du PDK est clair", accuse-t-il. "Il entend limiter les libertés au Kurdistan, faire reculer la démocratie et, au final, nous faire taire."

"On perd notre temps dans les tribunaux, et c'est leur but, nous empêcher de faire notre travail", poursuit-il.

Une opinion partagée par son confrère Kamal Rauf, dont le journal Hawlati est visé par neuf plaintes différentes. "Leur but est clairement d'intimider les médias, et donc de les influencer."

L'organisation Reporters sans frontières (RSF) s'est également alarmée mi-décembre de l'inflation du nombre de plaintes, "alors que Massoud Barzani (...) s'est clairement exprimé en faveur de la liberté de la presse, lors du Congrès de son parti" en décembre."

"Et ce ne sont plus uniquement les médias non partisans qui se trouvent dans la ligne de mire. Aujourd'hui, les directeurs de publications passent leur temps dans les couloirs des tribunaux", indique RSF dans un rapport intitulé "Kurdistan irakien: des procès comme s'il en pleuvait".

Cette cascade de plaintes, en entravant le travail des journalistes vise à "limiter la liberté de la presse", selon Rahma Gharib, directeur de Metro, une organisation kurde de défense de la liberté de la presse.

Car les procédures judiciaires sont parfois longues. C'est le cas de celle qui avait été déposée le 25 juillet par le secrétaire du bureau politique du PDK contre l'hebdomadaire Roznama, et qui n'a pas été jugée.

Le PDK réclame selon l'Observatoire de la liberté de la presse en Irak un milliard de dollars de dommages et intérêts à cette publication qui appartient au chef du parti d'opposition Goran (changement), Nicherwan Moustafa.

Elle avait publié le 20 juillet un article sur la contrebande du pétrole entre le Kurdistan et l'Iran affirmant que ce trafic rapportait "des millions de dollars" aux deux partis traditionnels kurdes, le PDK et l'Union patriotique du Kurdistan (UPK) du président irakien Jalal Talabani

Le mois dernier, le magazine Rega a écopé d'une amende de 35 millions de dinars (environ 30.000 dollars) pour un article demandant la démission de M. Barzani, qu'il accusait de ne pas être en mesure de protéger le Kurdistan.

L'article portait sur l'affaire Sardasht Osmane, un journaliste auteur d'articles très critiques contre les dirigeants kurdes et la corruption, et assassiné dans des conditions troubles en mai.

Contacté par l'AFP, un porte-parole du PDK a justifié "le grand nombre de plaintes contre les journalistes" par la nécessité pour le PDK de "se défendre des accusations parues dans la presse".

Ari Harsin a aussi démenti que les critiques de M. Barzani ou des membres de sa famille soient interdites. "Le PDK défend l'indépendance de la presse", a-t-il affirmé.

L'UPK a de son côté indiqué qu'elle préférait éviter la résolution en justice des contentieux.

"Nous tentons de répondre par voie de presse aux articles critiques à l'égard de l'UPK", a affirmé Azad Jandiani, un de ses porte-parole. "Nous préférons traiter par le dialogue les tensions qui peuvent exister."

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.