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Grippe aviaire: à Dogubeyazit, la panique cède le pas à l'indignation


Lundi 9 janvier 2006 à 10h47

DOGUBEYAZIT (Turquie), 9 jan 2006 (AFP) — A Dogubeyazit, ville des confins orientaux de la Turquie d'où étaient originaires les deux premiers morts Turcs de la grippe aviaire, la panique a cédé le pas à l'indignation, des habitants accusant les autorités de les abandonner à leur sort parce qu'ils sont Kurdes.

Dans les rues de la petite commune d'environ 56.000 habitants, à grande majorité Kurdes, coincée entre le légendaire mont Ararat et la frontière iranienne, la vie a repris ses droits lundi : les commerçants investissent les trottoirs pour le marché, les paysans convoient moutons et vaches destinés à la fête musulmane du Sacrifice.

A l'hôpital de la ville, une quarantaine de personnes arrivées dès l'aurore attendent calmement l'arrivée des médecins.

"On a eu pas mal de poulets morts chez nous, et maintenant mon fils et ma fille ont de la fièvre et disent avoir mal à la poitrine. Je les ai amenés pour être sûr que ce n'est pas la grippe aviaire", explique à l'AFP Vayettin Bahrir en désignant Ali, 10 ans, et Ceylan, 6 ans, venus à pied à l'hôpital.

Le ressentiment contre les autorités est cependant à fleur de peau, et il suffit de quelques questions pour que les langues se délient.

"Je viens du village de Buyretti, près de la frontière iranienne. On doit avoir 300 ou 400 poulets et aucun responsable, aucun vétérinaire n'est venu nous voir", s'indigne Mehmet Salih Demirhan, à l'instar de nombreux habitants interrogés par l'AFP.

"C'est par la télévision que j'ai appris pour la maladie, et j'ai commencé à abattre mes animaux", poursuit-il. "Ici, c'est l'Est, c'est comme ça, conclut-il.

Montagneuse et difficile d'accès, l'Est de l'Anatolie est une des régions les plus déshéritées de Turquie. A Dogubeyazit, l'industrie est à peu près absente, la population vivant de l'élevage bovin et ovin, d'un peu d'agriculture et du commerce d'alcool et de cigarettes avec l'Iran voisin.

"A l'hôpital, normalement, il y a quatre docteurs. Quatre pour 60.000 habitants, vous pouvez le croire? Et ils ne sont même pas tous là en ce moment", renchérit un homme dans la file d'attente.

"Dans l'Ouest (où le premier cas en Turquie de H5N1 a été détecté chez des dindes en octobre), les oiseaux ont été tués tout de suite. Ici il a fallu attendre que des gens meurent", poursuit-il.

Pour Mehmet Gültekin, un chef de quartier de Dogubeyazit, le désintérêt supposé des autorités s'explique par le fait que les habitants sont Kurdes, autant dire, selon lui, des citoyens de seconde zone.

"Les autorités ne s'intéressent pas à nous parce qu'on est Kurdes, il n'y a que la mairie (aux mains du Parti de la société démocratique, DTP, pro-kurde) qui travaille", assure-t-il.

"Regardez, les gens viennent ici déposer eux-mêmes leurs poulets, ce sont eux qui bossent pendant que les fonctionnaires dorment", ajoute-t-il en désignant quelques paysans rassemblés devant l'administration locale de l'Agriculture avec des sacs remplis de volailles encore caquetantes.

Pour un restaurateur parlant sous le couvert de l'anonymat, l'inaction de l'Etat confine à la malveillance.

"Quand les gens ici ont un problème à régler avec l'administration, on les trimbale d'un bureau à l'autre, et à la fin on leur dit : 'vous n'avez qu'à voir votre maire Dehap (ancienne appellation du DPT) ou vos amis de l'Union européenne'", assène-t-il.

Les équipes chargées de la collecte des volailles affirment cependant faire de leur mieux, avec des moyens limités.

"On fait ce qu'on peut, mais on n'est pas assez nombreux: chaque province a mobilisé ses effectifs et on ne peut pas recevoir de renforts", explique Ibrahim Giglal, un des employés revêtus de la désormais familière combinaison blanche de protection contre le virus.

"Avec douze équipes de trois personnes, nous avons collecté 16.000 volatiles dans la ville de Dogubeyazit", indique-t-il, confirmant qu'aucun des 84 villages rattachés au chef-lieu n'avait pour l'heure été ratissé.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.