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"Go UK", la liesse et l'angoisse des migrants quittant les côtes françaises


Mardi 31 mai 2022 à 13h34

Gravelines (France), 31 mai 2022 (AFP) — Sortis des taillis à l'aube, deux groupes de migrants traversent la vaste plage devant Gravelines, bourgade côtière du Nord, leurs bateaux semi-rigides sur les épaules. Beaucoup sourient malgré le froid et les vagues: dans quelques heures, ils espèrent être en Angleterre.

Dans la nuit de lundi à mardi, une dizaine d'embarcations transportant plusieurs centaines de migrants ont ainsi tenté la traversée vers les côtes anglaises, ont indiqué les autorités françaises à l'AFP.

A Gravelines, l'un des points de départ récurrents entre Calais et Dunkerque, il est 5h30 du matin lorsqu'un premier groupe d'une quarantaine de personnes arrive sur la plage, a constaté un journaliste de l'AFP.

Ils gonflent leur embarcation sur le sable. Précédés des femmes et enfants, les hommes la portent sur les épaules sur plusieurs centaines de mètres. Toute proche, en arrière-plan, la bourgade dort encore, volets fermés.

La fébrilité est palpable: des cris fusent lorsque le bateau est mis à l'eau, une fillette pleure de peur tandis que les candidats à l'exil s'agrippent aux boudins pour se hisser à bord entre deux vagues.

"Go UK", lance avec enthousiasme un jeune kurde. "Ciao Italia, Fuck Kurdistan", lance-t-il, en résumé de son parcours.

Mais le moteur peine à démarrer. Après plusieurs dizaines de minutes d'essai, le groupe finit par renoncer: ça ne sera pas pour aujourd'hui.

Ils repartent à pied vers les dunes laissant derrière eux le semi-rigide.

- Le V de la victoire -

La préfecture maritime a décompté 300 à 350 tentatives de passage depuis le 1er janvier 2022, soit plus de 10.0000 personnes concernées.

Des chiffres "beaucoup plus élevés que les années précédentes", précise Véronique Magnin, porte-parole de la préfecture maritime de la Manche et mer du Nord.

Un second groupe est plus chanceux. Mieux encadré aussi par quatre passeurs, qui eux regagneront la terre une fois l'embarcation partie. "Slowly", pas de précipitation, lancent-ils aux migrants.

Beaucoup d'hommes jeunes et quelques familles, de diverses nationalités: ils avancent en portant le bateau les yeux rivés à l'horizon, n'emportant quasiment rien avec eux, à part les jerricans d'essence pour la traversée.

Après plusieurs pauses, car le fardeau est lourd, sur une longue grève découverte par la marée, ils entrent sans hésitation, en jeans et baskets, dans une mer à 14°.

"Allahou Akbar", s'exclament-ils, l'eau à la taille, quand le passeur démarre le moteur, et commence à faire monter femmes et enfants.

Vers 6h, ils sont plus de 40, tous équipés de gilets de sauvetage rouges, à bord du bateau qui prend le large. Un des intermédiaires quitte l'embarcation dans un salto, des passagers saluent de la main, certains font le V de la victoire.

- Des traversées périlleuses -

Il leur reste encore cinq à sept heures d'une traversée périlleuse, qui a fait 31 morts et 4 disparus en 2021, et un mort cette année, coupant l'une des routes maritimes les plus fréquentées au monde.

Cinq policiers arrivés sur place ne pourront que constater les départs, détruire le bateau abandonné, et emporter l'essence.

Falaises, dunes boisées, plages: les 150 kilomètres de littoral de la frontière belge jusqu'à la baie de Somme fourmillent de planques pour préparer les départs, déjouant les dispositifs policiers.

Une fois les bateaux partis, c'est le droit de la mer qui s'applique, et les autorités n'interviennent que pour du sauvetage.

Depuis quelques semaines, les départs sont toutefois moins nombreux que redouté avec le retour du beau temps. Une pénurie de bateaux, qui viennent de Chine, pourrait figurer parmi les hypothèses, selon deux sources judiciaires.

En hausse depuis 2018, face à la répression accrue des passages par ferry ou le tunnel sous le Manche, le nombre de traversées a triplé en 2021, avec plus de 28.000 migrants arrivés en Angleterre.

Mais les flux de migrations irrégulières continuent aussi à passer par les camions, constate une source judiciaire locale.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.