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Fuyant le marasme économique, des Iraniens cherchent du travail au Kurdistan irakien


Vendredi 19 juillet 2019 à 11h20

Erbil (Irak), 19 juil 2019 (AFP) — A un carrefour d'Erbil, un pick-up ralentit avant d'être pris d'assaut par une demi-douzaine d'Iraniens: étranglés par les sanctions américaines, ces travailleurs journaliers louent désormais leurs bras en Irak voisin pour nourrir leurs familles.

Rostam, Kurde iranien venu d'Ourmia, dans le nord-ouest de l'Iran, assure que le travail n'y manque pas, mais que là-bas, "la monnaie n'a plus aucune valeur".

"A la fin d'une journée de travail, on peut acheter un poulet. Mais une famille a besoin de plus qu'un poulet", explique l'homme de 31 ans, qui refuse de donner son nom de famille.

Les sanctions américaines ont fait grimper l'inflation en Iran, désormais officiellement à 52%, et le rial a perdu la moitié de sa valeur en un an.

Lui aussi Kurde comme la majorité de ces travailleurs iraniens venus en Irak, Riza Rostoumy dit gagner "25.000 à 30.000 dinars irakiens par jour", de 20 à 25 dollars. "C'est une bonne somme", se félicite celui qui triple ainsi ce qu'il gagnait en Iran.

Un bonus vital, renchérit Rostam, alors que les déclarations belliqueuses de Téhéran ou de Washington peuvent à tout instant faire flamber les prix en Iran.

"L'économie est totalement imprévisible, tu peux te réveiller un matin et découvrir que le prix de la nourriture a doublé dans la nuit", assure-t-il en sorani, le dialecte kurde le plus parlé en Irak et en Iran.

- "Source de richesse" -

Comme Rostam et Riza, la majorité des Iraniens venus chercher du travail dans la zone industrielle d'Erbil sont entrés en Irak avec des visas de tourisme d'un mois.

Après 28 jours de travail, tous rentrent chez eux, les valises remplies de thé, de couches et autres biens de consommation devenus inabordables en Iran.

Pour Adel Bakawan, chercheur associé à l'Ecole des hautes études en sciences sociales de Paris (EHESS), ces travailleurs émigrés temporaires, non seulement "répondent à un besoin" au moment où les investissements reprennent doucement au Kurdistan irakien, mais sont également "perçus comme une source de richesse".

"En plus d'occuper des métiers dévalorisés culturellement et socialement dans la société kurde irakienne, les dépenses de ces journaliers iraniens assurent une source de revenus" à la région autonome, explique-t-il à l'AFP.

S'ils sont obligés de quitter régulièrement le territoire irakien, Rostam, Riza et les autres sont toujours rapidement de retour, en général après moins d'une semaine de repos chez eux.

A Erbil, beaucoup logent chez Khorsheed Shaqlawayee, un Kurde irakien de 54 ans qui a déjà transformé trois vieux immeubles en pensions pour travailleurs étrangers.

"L'automne dernier, je n'avais que 58 travailleurs iraniens dans mon hôtel, maintenant ils sont 180" à louer des chambres de neuf mètres carrés où peuvent dormir jusqu'à quatre personnes, pour trois dollars la nuit, se félicite-t-il.

Aujourd'hui, il affiche complet et est obligé de "refuser des clients, tous iraniens".

- "Nourrir nos familles" -

Les autorités kurdes d'Irak assurent n'avoir aucun chiffre sur ces travailleurs venus de l'autre côté de la frontière.

Les travailleurs irakiens, eux, disent n'avoir aucune animosité envers eux, comme Rebin Siamand, rencontré sur un chantier à Erbil.

"Ils sont payés autant que nous", assure-t-il.

Mais, prévient ce Kurde irakien de 27 ans, si les Iraniens se mettent à casser les prix ou à venir plus nombreux, ils ne seront plus accueillis de la même façon.

Depuis février, Souleimane Taha, un Kurde iranien, vient régulièrement en Irak vendre à l'arrière de son pick-up bleu de petites statues d'animaux en plâtre.

Diplômé de la faculté de mathématiques, Souleimane Taha a dû accepter ce petit boulot pour aider sa famille à survivre à Sanandaj, dans l'ouest de l'Iran, à 300 km de là. Il cherche désormais un appartement à Erbil pour accueillir ses amis et proches qui voudraient eux aussi chercher du travail en Irak.

"Avant les dernières sanctions, on mangeait de la viande trois fois par semaine. Aujourd'hui, seulement une fois", affirme-t-il à l'AFP.

"Si nous émigrons, c'est simplement pour nourrir nos familles".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.