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Erdogan veut fermer le parti prokurde pour rester au pouvoir, accuse un opposant


Dimanche 21 mars 2021 à 17h15

Istanbul, 21 mars 2021 (AFP) — L'ex-dirigeant emprisonné du principal parti prokurde de Turquie a accusé dimanche le président Recep Tayyip Erdogan de chercher à s'assurer la victoire aux prochaines élections en essayant d'interdire cette formation de manière "illégale", dans un entretien avec l'AFP.

Selahattin Demirtas, ex-dirigeant du Parti démocratique des peuples (HDP) dont il reste la figure de proue, est incarcéré pour "terrorisme" depuis 2016, année où la répression contre sa formation prokurde s'est intensifiée.

Son maintien en détention malgré les appels répétés de la Cour européenne des droits de l'Homme à le libérer en a fait, pour nombre d'ONG, l'un des symboles du recul de la démocratie en Turquie depuis un putsch manqué contre M. Erdogan en juillet 2016.

Après cinq années durant lesquelles elles ont arrêté ou destitué des dizaines d'élus du HDP, les autorités turques ont réclamé mercredi l'interdiction de ce parti en l'accusant de liens avec une "organisation terroriste". Le HDP réfute ces accusations.

"La raison fondamentale pour laquelle ils veulent fermer le HDP, c'est permettre (à M. Erdogan) de gagner les prochaines élections", déclare M. Demirtas à l'AFP, qui a pu lui transmettre des questions par l'intermédiaire de son avocat.

"Cette raison suffit à rendre cette procédure d'interdiction illégale et illégitime. J'espère que la Cour constitutionnelle ne prendra pas cette affaire au sérieux et y opposera un refus", ajoute-t-il.

D'autres responsables du HDP ont également accusé M. Erdogan de vouloir l'interdire pour se renforcer avant les prochaines élections législatives et présidentielle, qui sont prévues en 2023 et s'annoncent difficiles pour lui, sur fond de difficultés économiques.

- "Mentalité répressive" -

Le HDP est devenu la bête noire du dirigeant turc depuis qu'il a contribué à le priver de sa majorité parlementaire en entrant en force dans l'hémicycle lors d'élections législatives en juin 2015.

En dépit de la répression, il est parvenu à récolter, à chaque scrutin qui s'est tenu depuis, les plus de 10% de voix nécessaires pour être représenté au Parlement, où il est aujourd'hui la deuxième force d'opposition.

La procédure d'interdiction a été lancée par un procureur qui a saisi le plus haut tribunal de Turquie, la Cour constitutionnelle, en affirmant que le HDP était lié au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).

Le PKK, qui livre une sanglante guérilla contre Ankara depuis près de quarante ans, est un groupe qualifié de "terroriste" par la Turquie et ses alliés occidentaux.

La Cour constitutionnelle doit maintenant décider d'ouvrir ou non un procès, à l'issue duquel le parti pourrait être interdit, comme de nombreuses formations prokurdes l'ont été depuis trois décennies.

"Le fait qu'on parle encore d'interdire des partis politiques en 2021 montre que la démocratie n'est pas arrivée à maturation en Turquie et que la mentalité répressive perdure", déplore M. Demirtas.

- "Continuer la lutte" -

Sous pression, le HDP affirme qu'il a "un plan B et un plan C", évoquant par exemple la création d'un nouveau parti en cas de fermeture.

"Quels que soient les obstacles qui seront érigés devant nous, notre mouvement politique va continuer de grandir", veut croire M. Demirtas.

Mais la résurrection du HDP sous une autre étiquette, en cas d'interdiction, pourrait s'avérer particulièrement compliquée.

En effet, en plus de la fermeture du HDP, le procureur a réclamé une interdiction d'exercer des responsabilités politiques pendant cinq ans contre plus de 600 de ses membres, dont M. Demirtas.

"Cela fait cinq ans que je suis emprisonné et donc, de fait, empêché d'avoir des fonctions politiques", relativise M. Demirtas.

"Cette situation ne m'a pas coupé de mon combat ou de la politique", poursuit-il. "Même si je ne suis membre d'aucun parti ou candidat à aucun mandat électif, je continuerai la lutte".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.