Lundi 8 février 2010 à 14h04
ANKARA, 8 fév 2010 (AFP) — Le père et le grand-père d'une adolescente kurde enterrée vivante parce qu'elle parlait aux hommes, dans le sud-est de la Turquie, risquent la prison à vie pour ce "crime d'honneur" qui provoque la mobilisation et l'indignation d'associations de femmes.
Ayhan Mémi, 40 ans, et Féthi Mémi, 65 ans, devraient être inculpés dans l'acte d'accusation préparé par le parquet de Kahta, ville kurde de l'est anatolien, d'"homicide prémédité avec circonstances aggravantes, perpétré avec cruauté", a-t-on indiqué lundi de source judiciaire locale.
Le code pénal turc requiert la prison à vie pour ce genre de crime.
Les deux hommes ont refusé de communiquer avec la justice après leur arrestation, début décembre, à la suite de la découverte dans le jardin familial, dans une fosse de deux mètres de profondeur creusée tout près du poulailler, du cadavre en décomposition de Médiné, 16 ans.
La jeune fille était portée disparue depuis environ 40 jours et la fosse avait été recouverte d'un dallage en béton.
Une autopsie de la victime, retrouvée ligotée, a révélé des détails macabres: elle était vivante et en position assise au moment de son enterrement, car les médecins légistes ont retrouvé de la terre dans ses poumons et son estomac.
Cette jeune Kurde "n'était jamais allée à l'école et elle savait peut-être à peine lire et écrire", a indiqué à l'AFP au téléphone un journaliste local, Muhammed Cevik, propriétaire du quotidien Kahta actualités.
Ses parents n'ont pu fournir de photos à la police car elle n'avait jamais été photographiée, probablement pour des raisons religieuses. Ils ont donné d'elle un signalement vague: 1,60 m, 55 kilos, cheveux châtains, teint clair et menton saillant.
C'est tout ce que l'on sait de cette adolescente dont le calvaire s'ajoute à celui de près de 300 femmes tuées depuis 2001 en Turquie dans des "crimes d'honneur", commis pour "laver l'honneur" d'une famille.
Kahta, ville kurde de 60.000 habitants à une centaine de kilomètres de la Syrie, est surtout connue pour être le centre d'une importante confrérie musulmane conservatrice. Les suspects en seraient membres, selon le journal Hürriyet.
Plusieurs associations de femmes vont manifester cette semaine pour dénoncer ces pratiques "dignes du Moyen-âge", a déclaré Canan Güllu, la présidente de l'influente Fédération des associations féministes (TKDF).
Cette militante s'indigne "du peu de réactions" à ce "crime atroce", dans une Turquie qui frappe à la porte de l'Europe.
Cet assassinat n'a été condamné par aucun des principaux acteurs politiques, et n'a même pas fait la une de la presse.
Le gouvernement et les associations ont accru leurs efforts ces dernières années pour mettre un terme aux "crimes d'honneur". Mais les sondages montrent qu'ils bénéficient encore d'une large tolérance dans les zones kurdes où ils sont le plus souvent commis.
Ainsi 37% des personnes interrogées en 2006 à Diyarbakir (sud-est) pensaient qu'une femme adultère devait être tuée.
Les associations de femmes expliquent la persistance de tels crimes par la situation qui prévaut dans ces régions: retard économique, chômage record et conflit larvé avec les rebelles kurdes.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.