Mercredi 18 septembre 2024 à 16h23
Paris, 18 sept 2024 (AFP) — "Ils n'ont qu'une envie, c'est de partir": sept grands-parents ont exhorté mercredi la France à rapatrier en urgence leurs petits-enfants détenus depuis six ans dans des camps kurdes dans le nord-est de la Syrie.
Ces grands-parents, membres du collectif des Familles unies, se sont rendus dans le camp de Roj, en février et août derniers, où au moins 120 enfants et 50 femmes français sont détenus, selon eux.
Ils ont témoigné mercredi, sous couvert d'anonymat, lors d'une conférence de presse organisée à Paris dans le cabinet de leurs avocats.
Avant le voyage, Patricia (prénom modifié), n'avait pas vu sa fille, "partie en 2015 pour la Syrie", depuis neuf ans. "Quand je l'ai prise dans mes bras, elle était si maigre, je sentais ses omoplates".
Pendant deux jours, elle a aussi vu pour la première fois ses petits-enfants, âgés de six et sept ans, nés sur place. "L'hiver, ils dorment enrubannés d'écharpes, de bonnets et de moufles". L'été, la chaleur les écrase. "Comment peuvent-ils résister à de telles conditions de vie ?"
En puisant dans leur imaginaire ou leurs souvenirs, sans doute. Leurs chambres sont tapissées de dessins représentant des tours Eiffel ou "des maisons avec des mains ouvertes". "Dans la main, il y a un avion. Ils n'ont qu'une envie, c'est de partir", traduit Patricia.
D'autres jeunes se projettent et s'interrogent, ont raconté leurs grands-parents. S'ils rentrent, que se passera-t-il pour leur mère ? Où vivent leurs oncles, leurs tantes, en France ? Où iront-ils à l'école ? "Je vais aller dans une classe de petits, si j'ai pas le niveau ?", s'est inquiété son petit-fils auprès de Marc (prénom modifié).
"C'est pratiquement impossible pour moi de décrire ce qui nous submerge quand on rentre dans le camp, que surgit une foule d'enfants" et que parmi eux, "on les a reconnus: nos petits-enfants", a confié Marc.
- "La honte de la France" -
Cinq ans après la chute du "califat" du groupe Etat islamique (EI), des dizaines de milliers de femmes et d'enfants proches de jihadistes sont détenus par les forces kurdes syriennes alliées des Etats-Unis dans des camps où règne la violence.
La France a cessé à l'été 2023 les rapatriements collectifs après avoir mené quatre opérations en un an.
Actuellement, "la France conditionne toute opération de rapatriement à une demande explicite de la part des femmes", mais ces dernières "n'arrivent pas" à la formuler, a expliqué l'avocate Marie Dosé.
Certaines sont "trop radicalisées", d'autres craignent des représailles dans les camps, nombre d'entre elles redoutent d'être séparées de leurs enfants en arrivant en France. "Ce pays doit protéger les enfants de l'incapacité des mères à prendre la bonne décision", a insisté l'avocate.
"Ces enfants sont des victimes, pas des bourreaux. Cette situation ubuesque sera une tache indélébile pour la France. C'est la honte de la France. Le temps limite est arrivé", a fustigé Patrick Baudouin, président de la Ligue des droits de l'Homme.
Le collectif a également visité les centres Orkesh et Houri, ainsi que la prison d'Alaya pour rencontrer cinq jeunes majeurs et un mineur français qui y sont incarcérés. "Leur état de santé est catastrophique, les rapatrier est une question de vie ou de mort", a alerté Me Dosé.
Ces jeunes avaient déjà déposé des demandes de rapatriement, se disant prêts à s'expliquer devant la justice française. "Je n'ai jamais eu de réponse" des autorités françaises, "ce qui est un refus implicite", s'est indignée l'avocate.
"On ne veut pas le rapatriement pour les lâcher dans la nature. Ces jeunes ont vocation à être judiciarisés", a rappelé Julie Couturier, présidente du Conseil national des barreaux.
Actuellement, 364 enfants rapatriés de Syrie sont suivis par des juges des enfants en France. Ils "ne posent aucune difficulté particulière", a indiqué le procureur national antiterroriste Olivier Christen, interrogé le 11 septembre au micro de France info.
"Il faut faire confiance à la résilience des enfants", a souligné Me Matthieu Bagard, co-président des Avocats sans frontières France. "Ils veulent se reconstruire, comme s'ils étaient dans une parenthèse qu'il faut absolument fermer".
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.