Page Précédente

En Turquie, polémiques autour du sort des civils sous le feu du conflit kurde


Mercredi 3 février 2016 à 15h50

Diyarbakir (Turquie), 3 fév 2016 (AFP) — Pris sous les feux croisés des forces de sécurité et des rebelles kurdes, ils survivent depuis près de deux semaines au fond d'une cave. En Turquie, le sort des prisonniers d'un immeuble en ruines de Cizre nourrit l'inquiétude et toutes les polémiques.

Les témoignages qui filtrent de cette ville du sud-est majoritairement kurde dévastée par les combats et désertée de la majeure partie de ses 100.000 habitants sont rares, couvre-feu oblige.

Selon les informations confirmées par les ONG internationales, une trentaine de civils ont trouvé refuge le 23 janvier dans le sous-sol de "l'immeuble numéro 23" du quartier de Cudi. Ils y sont privés d'eau, d'électricité et de vivres. Plusieurs d'entre eux sont morts, d'autres sont grièvement blessés, privés de soins.

Tout le reste fait l'objet d'une vive controverse entre le Parti démocratique des peuples (HDP), soutien de la cause kurde, et le gouvernement islamo-conservateur, qui accuse ce mouvement d'être complice des "terroristes" du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).

Mardi, le coprésident du HDP Selahattin Demirtas a affirmé que six "locataires" de la cave de Cizre étaient déjà morts de soif ou faute de traitements et a accusé le pouvoir d'avoir refusé d'y envoyer des ambulances pour les hospitaliser.

"Pourquoi est-ce que vous bloquez l'accès à cet immeuble ?", a-t-il demandé, dénonçant la "guerre" déclarée par le gouvernement aux Kurdes.

M. Demirtas a déploré n'avoir "aucune idée" de la situation précise des civils bloqués. Un député de son parti, Faysal Sariyildiz, a affirmé, sur la base de textos échangés avec eux le week-end dernier, qu'au moins quatre personnes étaient mourantes.

Un autre de ses collègues, Osman Baydemir, a pour sa part raconté, après une conversation téléphonique avec un membre de son parti retenu dans le fameux sous-sol, que les forces de sécurité avaient délibérément ouvert le feu samedi sur le bâtiment en pleine opération d'évacuation de ses occupants.

"Pourquoi cette opération militaire pendant l'évacuation du bâtiment ? Qui en a donné l'ordre ?", a demandé M. Baydemir au ministre de l'Intérieur.

Les plus hautes autorités de l'Etat ont toutes catégoriquement démenti ces allégations.

- "Où sont les blessés ?" -

"Ce ne sont que des mensonges", a riposté dimanche le président Recep Tayyip Erdogan. "Il y a toujours eu des ambulances là-bas", a-t-il poursuivi, "la vérité, c'est qu'ils refusent délibérément de sortir leurs blessés".

Mardi, son ministre de l'Intérieur Efkan Ala avait suggéré que des chefs du PKK s'étaient retranchés dans l'immeuble 23. "Ils ont fabriqué une fiction pour entraver le combat contre le terrorisme au moment où il est proche de l'emporter", a-t-il ajouté.

Depuis la mi-décembre, l'armée et la police ont investi Cizre pour tenter d'y éliminer des groupes de jeunes partisans du PKK qui y ont érigé des barricades, creusé des tranchées et défié les autorités en proclamant l'autonomie de quartiers entiers.

D'intenses combats s'y déroulent à l'arme lourde et ont déjà fait de nombreuses victimes dans les deux camps. L'armée affirme avoir éliminé 500 "terroristes" à Cizre, des chiffres invérifiables pour cause de couvre-feu.

La Fédération turque des droits de l'Homme (TIHV) assure de son côté que près de 200 civils ont été tués depuis la reprise du conflit kurde l'été dernier.

Cela fait une semaine que les ONG internationales se sont saisies du cas de l'immeuble 23. "C'est une situation d'urgence que le gouvernement doit régler d'urgence", a expliqué Emma Sinclair-Webb, de Human Rights Watch (HRW).

Le Haut-commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, Zeid Ra'ad Al Hussein, a plus généralement mis en cause les opérations de l'armée contre des civils à Cizre. Après la diffusion d'une vidéo qu'il a jugée "extrêmement choquante", il a demandé lundi à Ankara d'ouvrir une enquête sur des tirs présumés ayant visé un groupe de civils.

"Je demande instamment aux autorités turques de respecter les droits fondamentaux des civils au cours de leurs opérations de sécurité", a-t-il dit.

Malgré ces mises en cause, le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu a écarté la moindre faute de l'Etat et affirmé que les civils bloqués à Cizre avaient refusé tout traitement. "Où sont les blessés ?", s'est-il exclamé, "il n'y en a probablement pas..."

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.