Mardi 29 juillet 2025 à 05h01
Turquie, 29 juil 2025 (AFP) — Kemal Özdemir lève les yeux en direction des hauts pics nus du mont Cilo, dans le sud-est de la Turquie: "Il y a dix ans, les glaciers s'élevaient ici", se remémore-t-il sous un ciel sans nuage.
Puis l'homme, guide de montagne depuis quinze ans, se tourne vers le torrent qui charrie des blocs de glace grisâtres par dizaines, en contrebas d'un versant recouvert d'herbe et de cailloux.
"Comme vous voyez et pouvez l'entendre, il y a des blocs détachés du glacier dans la rivière (...) Et son débit très élevé témoigne de la vitesse à laquelle la glace fond", relève-t-il.
Les glaciers du mont Cilo, qui culmine à 4.135 mètres dans la province d'Hakkari, à la frontière irakienne, sont les deuxièmes plus importants du pays, derrière ceux du mont Ararat (5.137 m), 250 km plus au nord.
Mais sous l'effet du réchauffement climatique, de nouveaux pans de montagne autrefois prisonniers des glaces se découvrent année après année.
La Turquie, qui subit canicules et sécheresse, a même enregistré vendredi un record de température sur son territoire de 50,5°C à Silopi, à 200 km à vol d'oiseau d'Hakkari.
"La fonte est plus rapide qu'attendue. D'après nos recherches, nous avons perdu au cours des quarante dernières années près de 50% de la calotte de glace et de neige" du mont Cilo, explique à l'AFP le Pr Onur Satir, spécialiste en systèmes d'information géographique à l'université Yüzüncü Yil de Van (est).
- "Aucun moyen de recouvrir la glace" -
"Certaines parties fondent plus vite que d'autres, cela nous indique lesquelles doivent être protégées. Mais nous n'avons aucun moyen de recouvrir la glace", ajoute l'expert, alors que plusieurs glaciers des Alpes ont été recouverts de bâches blanches ces dernières années pour tenter de retarder leur agonie.
Selon l'ONU, des glaciers de plusieurs régions du monde ne survivront pas au XXIe siècle, menaçant l'approvisionnement en eau de centaines de millions de personnes.
Le professeur Satir explique que si la masse de glace est importante, "la fonte ne sera pas trop rapide. Mais si vous divisez le bloc, alors il fondra plus vite."
Les paysages autour du mont Cilo font le bonheur des randonneurs, nombreux à se presser sur la montagne depuis que les armes se sont tues ces dernières années dans la région, d'où les combattants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) ont longtemps défié l'Etat turc.
Le processus de paix en cours avec le PKK, groupe qualifié de terroriste par Ankara et ses alliés occidentaux, laisse augurer d'une accélération du tourisme dans cette zone devenue parc national en 2020.
La fonte des glaces rend toutefois certaines zones périlleuses. En juillet 2023, deux randonneurs ont péri emportés par un bloc se détachant d'un glacier.
- "Ne pas marcher sur la glace" -
"Les gens ne devraient pas marcher sur la glace", alerte Kemal Özdemir, inquiet pour la sécurité des randonneurs comme pour la préservation des glaciers.
"Cette zone se trouve à 40-50 km de la première ville, avant il n'y avait pas de route. Mais depuis sa construction, de plus en plus de voitures arrivent jusqu'ici et l'augmentation du nombre de visiteurs accélère aussi la fonte des glaces", affirme le guide de 38 ans, qui est né et a grandi dans la région.
Parmi les dizaines de touristes ébahis face aux paysages, certains refusent de reconnaître la réalité du réchauffement climatique dans l'évolution rapide de l'environnement, pourtant scientifiquement établie.
"C'est l'évolution naturelle du monde", assène Hasan Saglam, un médecin de 65 ans venu contempler le mont Cilo pour la première fois.
"Quand nous lions ça au changement climatique, les pays industriels viennent nous dire de ne pas utiliser d'énergies fossiles et de ne pas développer notre industrie", fulmine-t-il.
Un rapport de l'ONU sur la désertification dans le monde estime que 88% du territoire turc est menacé par le phénomène: les précipitations devraient diminuer d'un tiers d'ici la fin du siècle tandis que les températures devraient augmenter de 5 à 6°C par rapport aux moyennes relevées entre 1961-1990.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.