Lundi 8 septembre 2025 à 16h12
Istanbul, 8 sept 2025 (AFP) — Les enquêtes et arrestations qui s'abattent sur l'opposition turque font aussi des dégâts chez les avocats du pays, qui ont vu ces derniers mois l'étau de la justice se resserrer sur eux.
Ainsi, quand le maire d'opposition d'Istanbul Ekrem Imamoglu a été arrêté en mars, ce fut neuf jours plus tard le tour de son avocat, puis le mois suivant celui de l'avocat de son avocat.
"Il s'agit d'une tentative d'intimidation", a dénoncé ce dernier, Yigit Gökçehan Koçoglu, à sa sortie de garde à vue.
"Les avocats turcs subissent une pression sans précédent", s'est inquiété la semaine passée le bâtonnier d'Istanbul Ibrahim Kaboglu, qualifiant lors de la rentrée judiciaire l'année écoulée d'"année noire" pour son barreau, le plus important du pays.
Le sort du bâtonnier et des membres du Conseil de l'ordre du barreau d'Istanbul, destitués fin mars -- une décision dont ils ont fait appel --, doit être de nouveau débattu mardi et mercredi devant un tribunal de la ville.
Les onze avocats sont poursuivis pour "propagande terroriste" et "diffusion publique de fausses informations" pour avoir réclamé une enquête sur la mort fin 2024 en Syrie de deux journalistes kurdes turcs, visés par un drone de l'armée turque selon une ONG, ce qu'Ankara rejette.
Mais cette procédure et les attaques à répétition contre les avocats servent surtout de prétextes au pouvoir, juge le bâtonnier d'Istanbul.
- "Attaques croissantes" -
"Quand les avocats sont ciblés, ce sont les justiciables, les citoyens, la société civile et l'opposition potentielle qui sont ciblés", déclare à l'AFP M. Kaboglu, qui estime qu'une dizaine d'avocats ont été arrêtés et/ou incarcérés cette année rien qu'à Istanbul, ville secouée au printemps par une vaste contestation déclenchée par l'arrestation de son maire.
Les défenseurs stambouliotes ne sont pas les seuls visés: fin mars à Izmir, troisième ville du pays, sept avocats défendant des manifestants arrêtés pour avoir protesté contre l'arrestation du maire d'Istanbul, plus sérieux rival du président Recep Tayyip Erdogan, ont été placés en garde à vue.
"La hausse des arrestations et des détentions d'avocats ne peut s'expliquer que par la pression et les attaques croissantes contre la société", affirme à l'AFP Göksel Akbaba, l'un des avocats d'Izmir arrêtés fin mars, pour qui le pouvoir cherche ainsi à "prolonger son propre avenir".
"Ces méthodes sont utilisées pour intimider les avocats comme elles sont utilisées pour intimider la société", assène l'avocat, qui dit ne pas avoir été informé du motif de sa garde à vue.
- "Dangereux précédent" -
Au total, plusieurs centaines d'avocats turcs ont été incarcérés ces dernières années, selon le décompte de plusieurs associations. Beaucoup accusés au même titre que leurs clients d'infractions à une législation antiterroriste régulièrement dénoncée par les défenseurs des droits humains.
En 2020, une avocate condamnée pour "appartenance à une organisation terroriste" était ainsi décédée en détention à Istanbul des suites d'une grève de la faim qu'elle observait pour réclamer un "procès équitable".
Et si plusieurs avocats ont été libérés de prison ces derniers mois dans le sud-est à majorité kurde du pays, "il y a depuis deux ans une augmentation terrible des procès contre les avocats turcs", constate également l'association française Défense sans frontière - Avocats solidaires (DSF-AS), sollicitée depuis 2012 par des confrères turcs.
"Il existe une volonté du gouvernement turc, qui monte depuis quelques années, de mettre au pas la profession", affirme à l'AFP l'association d'avocats, en citant en exemple les poursuites visant le barreau d'Istanbul.
"Ce qui se passe dans cette affaire est emblématique d'une tendance systémique et crée un dangereux précédent", a alerté lundi l'organisation Amnesty International, dénonçant un "recours abusif" au droit pénal afin de "cibler les avocats et les défenseurs des droits humains".
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.