Vendredi 1 août 2025 à 05h00
Ankara, 1 août 2025 (AFP) — Le CHP, premier parti d'opposition au gouvernement en Turquie est devenu son nouvel ennemi, estime l'un de ses responsables dans un entretien à l'AFP, commentant ce que les observateurs décrivent comme la volonté du président Erdogan de reprendre le contrôle du pays avant les prochaines élections.
Depuis les revers subis par le camp gouvernemental lors des élections municipales de mars 2024, la répression s'est abattue sur le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), de nombreux élus étant arrêtés pour terrorisme ou corruption, comme le maire d'Istanbul Ekrem Imamoglu, principal rival du chef de l'Etat, interpellé le 19 mars et toujours détenu.
"Le parti au pouvoir a désigné son nouvel ennemi politique le 19 mars, et ce nouvel ennemi est le CHP", affirme Burhanettin Bulut, président-adjoint du CHP, chargé des relations publiques, au siège du parti à Ankara.
"Ce gouvernement survit en se trouvant sans cesse un nouvel ennemi. Sa stratégie, c'est la polarisation par le dénigrement pour consolider sa base électorale", ajoute-t-il.
"De cette façon, il lance un écran de fumée pour masquer les véritables problèmes de la société: pauvreté, injustice, érosion de la démocratie et des droits individuels", poursuit-il.
L'arrestation d'Ekrem Imamoglu a déclenché une vague de contestation inédite en une décennie qui a donné lieu à des milliers d'arrestations.
Özgür Ozel, confirmé à la tête du CHP après l'arrestation de l'édile lors d'un congrès exceptionnel en avril, fait l'objet de pressions judiciaires croissantes pour tenter d'affaiblir l'opposition.
En juillet, le procureur général d'Ankara a ouvert une nouvelle enquête le visant pour "insulte au président" notamment, pour avoir critiqué l'arrestation de plusieurs maires d'opposition.
Une autre action en justice, intentée en février, questionne son élection à la tête du CHP avec des allégations de fraude lors du congrès du parti qui l'a élu en novembre 2023.
Les médias locaux ont également évoqué des manoeuvres visant à lever son immunité parlementaire.
Pour Burhanettin Bulut, l'arrestation d'Özgür Özel équivaudrait à "lancer de la dynamite sur les fondations de la République".
Mais il souligne que le CHP, fondé par le père de la République turque, n'est "pas un parti centré sur son président": "C'est un parti à l'histoire profondément enracinée, qui fut dirigé par certaines des figures les plus importantes de la vie politique turque, à commencer par Mustafa Kemal Atatürk. Aussi, se mêler de ses affaires n'est pas chose aisée."
- "Théâtre politique" -
Pour le responsable, tout ceci relève du "théâtre politique": "Le CHP a déjà choisi son leader, il n'y a pas de crise interne", affirme-t-il, d'autant que M. Özel a assuré qu'il ne sera pas candidat à la présidence si Imamoglu est empêché.
En outre, le CHP n'est pas le seul visé, souligne le responsable: "Du commis d'épicerie à l'apprenti, des hommes d'affaires aux artistes et aux journalistes, partout dans le pays les gens ont peur". Mais "malgré les pressions, (le CHP) sera le grand vainqueur" des prochaines élections, prévues en 2028 prédit-il.
Le gouvernement a envoyé les premiers signaux sept mois après les municipales de 2024, selon M.Bulut, avec l'arrestation du maire du CHP d'Esenyurt, un quartier populaire d'Istanbul, accusant ce dernier, Ahmet Ozer, d'appartenir au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), pourtant interdit.
Au sein du CHP, cette arrestation a sonné comme le début d'une répression plus large. "Le gouvernement applique désormais au CHP sa politique de nomination d'administrateurs (en remplacement des maires élus, nldr) qui visait autrefois le parti pro-kurde DEM", explique-t-il.
Trois édiles du CHP, dans l'est et à Istanbul, ont été ainsi remplacés. Seize autres, dont Ekrem Imamoglu, sont emprisonnés, selon un décompte du CHP.
Le gouvernement a justifié ces arrestations au nom de la justice, mais les opposants dénoncent leur caractère politique estimant qu'elles visent à neutraliser l'opposition dans les principales villes de Turquie conquises en mars 2024.
Evoquant le processus de paix en cours depuis l'automne avec le PKK, M. Bulut réclame un peu de constance au gouvernement: "Vous ne pouvez pas d'une main en appeler à la démocratie et, de l'autre, nommer des administrateurs", estime-t-il.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.