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En Syrie, Washington tente de désamorcer la crise entre Ankara et les Kurdes


Jeudi 1 novembre 2018 à 19h33

Al Qahtaniyé (Syrie), 1 nov 2018 (AFP) — La Turquie et les Etats-Unis ont entamé jeudi des patrouilles conjointes aux abords de Minbej, dans le nord de la Syrie, au moment où Washington veut désamorcer l'escalade entre Ankara et une milice kurde syrienne alliée clé des Américains dans la lutte antijihadistes.

Les présidents turc Recep Tayyip Erdogan et américain Donald Trump se sont entretenus jeudi au téléphone sur la Syrie, a indiqué la présidence turque, peu après l'annonce de patrouilles communes près de Minbej.

Ces derniers jours, la Turquie a haussé le ton contre la milice kurde des Unités de protection du peuple (YPG), bombardant certaines de ses positions en Syrie et brandissant la menace d'une nouvelle offensive d'ampleur.

Un regain de tension qui embarrasse les Etats-Unis.

La milice des YPG, qui agit au sein d'une alliance kurdo-arabe baptisée Forces démocratiques syriennes (FDS) est en effet un partenaire clé de Washington dans la lutte contre le groupe Etat islamique (EI). Mais la Turquie est aussi un allié stratégique des Etats-Unis au sein de l'OTAN.

En réaction au pilonnage d'Ankara, les FDS ont annoncé la suspension temporaire d'une offensive menée contre l'EI dans l'est syrien.

Dans ce qui apparaît comme un signe de Washington pour apaiser la Turquie, des patrouilles conjointes avec Ankara ont débuté jeudi aux abords de la ville syrienne de Minbej, où des troupes américaines et françaises sont déployées.

Même si les YPG ont assuré avoir quitté cette ville arrachée en 2016 à l'EI, la Turquie s'est récemment plainte de la présence continue de membres de la milice, menaçant à plusieurs reprises d'y lancer une offensive.

"La patrouille conjointe entre les forces armées turques et américaines à Minbej a commencé" a déclaré le ministre turc de la Défense Hulusi Akar, cité par l'agence étatique turque Anadolu. Elle évolue autour de la rivière Sajour, entre Minbej et Jarablous, une ville contrôlée par les rebelles syriens soutenus par Ankara, selon Anadolu.

De son côté, la coalition s'est dite "confiante sur l'efficacité" de ces patrouilles conjointes. "Préserver la sécurité et la stabilité à Minbej est impératif pour maintenir l'élan dans les opérations contre l'EI dans l'est de la Syrie", a-t-elle souligné.

- "Désescalade" -

Depuis des mois, la Turquie et les Etats-Unis menaient des patrouilles séparées mais "coordonnées" à Minbej, dans le cadre d'une feuille de route élaborée en juin pour désamorcer les tensions.

Pour l'expert sur la Syrie Nicholas Heras, ces patrouilles doivent aider Washington à neutraliser toute initiative du président turc contre les territoires kurdes du nord et nord-est syrien.

"L'entourage de Trump espère que le succès des patrouilles à Minbej va empêcher Erdogan de s'agiter dans les secteurs contrôlés par les FDS", estime le chercheur au Centre for a New American Security.

La minorité kurde, opprimée des décennies durant par le pouvoir de Damas, a profité du conflit ravageant la Syrie depuis 2011 pour grignoter une autonomie de facto.

Or, Ankara redoute que l'établissement d'une entité kurde à sa frontière ne galvanise les velléités séparatistes sur son sol.

"Nous sommes en communication avec la Turquie et les FDS pour une désescalade de la situation", a indiqué jeudi sur Twitter le colonel Sean Ryan, porte-parole de la coalition antijihadistes.

De son côté, le porte-parole des FDS, Kino Gabriel, a expliqué jeudi à l'AFP que malgré la suspension de l'offensive contre l'EI dans l'est syrien, "les forces sont toujours stationnées à leurs positions" dans le secteur.

- "Vengeance" -

Pour le deuxième jour consécutif, des rassemblements dénonçant les bombardements turcs dans le nord de la Syrie ont par ailleurs eu lieu jeudi, a constaté un correspondant de l'AFP.

"On veut faire parvenir notre voix au monde pour stopper les attaques turques contre le peuple kurde", a indiqué le quinquagénaire Ali Saoudi dans la localité d'Al-Qahtaniyé (nord-est).

"C'est leur vengeance contre les acquis réalisés par les Kurdes" en Syrie, déplore-t-il.

Depuis 2016, la Turquie a mené deux opérations contre les forces kurdes en Syrie, la dernière contre l'enclave frontalière d'Afrine (nord-ouest), conquise en mars et aujourd'hui contrôlée par des rebelles syriens pro-Ankara.

Ankara considère les YPG comme une extension du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), un groupe qui livre une guérilla sur le sol turc depuis 1984.

Mais si le PKK est classé comme "terroriste" par les alliés occidentaux de la Turquie, ce n'est pas le cas des YPG.

L'antagonisme entre la Turquie et les Kurdes syriens illustre la complexité de la guerre qui ravage la Syrie depuis 2011 et a fait plus de 360.000 morts.

Déclenché avec la répression par le régime de Bachar al-Assad de manifestations pro-démocratie, le conflit s'est élargi avec l'apparition de groupes rebelles armés, d'organisations jihadistes, mais aussi l'implication de puissances étrangères.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.