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En Syrie, les derniers Assyriens s'inquiètent de l'avancée turque


Mardi 19 novembre 2019 à 09h41

Tal Tamr (Syrie), 19 nov 2019 (AFP) — "Nous n'avons que Dieu", se lamente Souad Simon qui a dû quitter son village majoritairement assyrien et prie chaque jour pour son mari, resté le défendre avec d'autres miliciens chrétiens face à une opération militaire turque dans le nord-est syrien.

Comme cette femme de 56 ans à la silhouette frêle, les chrétiens assyriens de la région du Khabour qui ont déjà subi en 2015 l'invasion du groupe Etat islamique (EI) -et qui n'ont pas choisi la voie de l'exil- voient d'un oeil inquiet l'armée turque s'avancer vers eux.

Il y a quelques jours, Souad a dû fuir son village de Tal Kefji, à proximité des combats, pour trouver refuge chez des proches dans la localité de Tal Tamr, six kilomètres plus loin.

Car malgré deux accords de cessez-le-feu, des affrontements sporadiques dans le nord-est syrien opposent toujours les forces turques et leurs supplétifs syriens aux combattants kurdes et leurs alliés, notamment dans le Khabour, non loin de la frontière avec la Turquie.

"Nous, les femmes, avons quitté les lieux car nous avions peur des bombardements", lâche Souad, assise dans la cour d'une maison en terre, où elle a allumé des cierges à l'intention de son mari.

"J'ai laissé derrière moi de nombreux souvenirs (...) mon époux, ma maison, la famille et les voisins", regrette-t-elle.

Son mari a rallié la petite milice chrétienne des "Gardiens du Khabour", qui défend cette région regroupant une trentaine de villages assyriens le long de la rivière du même nom, avec l'aide de l'alliance arabo-kurde des Forces démocratiques syriennes (FDS).

Cette coalition est dominée par les combattants kurdes des Unités de protection du peuple (YPG) et c'est pour éloigner de sa frontière les YPG, qu'elle considère comme "terroristes", qu'Ankara a lancé le 9 octobre une offensive en Syrie.

- "Extermination" -

Cette opération a permis à l'armée turque de s'emparer d'une bande frontalière de 120 km, et les violences ont tué 150 civils et déplacé plus de 300.000 personnes, selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH).

Malgré les deux accords de cessez-le-feu, les forces turques et leurs supplétifs syriens ont pris le contrôle de dizaines de localités, dont une poignée de villages dominés par les Assyriens, selon l'OSDH.

"Il y a des menaces turques d'attaquer nos villages, et beaucoup fuient", affirme à l'AFP Aisho Nissan, un Assyrien de 48 ans, à Tal Tamr. "Le sort de la région reste inconnu, nous avons peur pour nos enfants et nos familles".

Des voitures et des bus chargés de déplacés et de leurs affaires traversent parfois la localité de Tal Tamr en direction du sud, et notamment de Hassaké, où des centaines de familles fuyant les violences ont trouvé refuge.

Porte-parole de la milice assyrienne, Nabil Wardé va jusqu'à faire un parallèle entre la Turquie et l'EI. Les jihadistes avaient envahi le Khabour en février 2015. Ils y avaient kidnappé au moins 220 chrétiens assyriens, progressivement relâchés contre rançon. Le secteur avait finalement été repris par les Kurdes.

"C'est la deuxième fois que nous subissons une offensive", déplore M. Wardé. Il souligne l'"histoire" de la Turquie et les "épisodes d'extermination", en référence aux massacres entre 1915 et 1918 sous l'Empire ottoman de populations arméniennes et assyro-chaldéennes.

- "Exil" -

Avant le début de la guerre en Syrie en 2011, les Assyriens, minorité ethnoreligieuse parmi les plus anciennes converties au christianisme, représentaient environ 30.000 des 1,2 million de chrétiens de Syrie.

Essentiellement concentrés dans la zone fertile de la rivière Khabour, ils vivent aux côtés de Kurdes et de communautés arabe ou syriaque. La région est gérée par l'administration semi-autonome kurde, qui se targue de respecter les droits politiques et culturels de toutes les minorités formant la mosaïque ethnique et religieuse du nord-est syrien.

Sur les quelque 20.000 habitants que comptait le Khabour avant l'invasion de l'EI, seul un millier vit encore sur place, selon M. Wardé. Les autres ont émigré essentiellement aux Etats-Unis, en Australie et au Canada.

Dans son village de Tal Nasri, Sarkoun Selio, 50 ans, est l'un des rares à ne pas être parti. Accompagné de deux miliciens, il se rend dans une église détruite par l'EI.

Seul le squelette en pierre de l'édifice tient encore debout tandis qu'une grande croix en fer repose dans un coin de sa cour externe.

L'un des miliciens saisit une feuille déchirée d'un évangile portant des écritures assyriennes.

Pour Sarkoun, une progression des Turcs sur les villages assyriens constituerait la toute fin de cette communauté en Syrie: "Nous avons peur que les derniers membres du peuple assyrien soient poussés vers l'exil".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.