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En Suède, les "bourreaux" d'un mannequin d'Erdogan revendiquent la liberté d'expression


Mardi 17 janvier 2023 à 11h09

Stockholm, 17 jan 2023 (AFP) — Leur action a compliqué un peu plus un feu vert de la Turquie pour faire entrer la Suède dans l'Otan: des militants pro-kurdes ayant pendu la semaine dernière une effigie du président turc Erdogan à Stockholm revendiquent une "provocation" et même un "sabotage" au nom de la liberté d'expression.

Andreas, un Suédois de 39 ans qui témoigne à condition de ne pas dévoiler son nom de famille, ouvre la porte latérale de son van gris, garé sur un quai de la capitale suédoise.

Dans le coffre, il est toujours là, montre-t-il à une équipe de l'AFP: un faux Recep Tayyip Erdogan en costume, corde liée aux chevilles, objet du courroux d'Ankara mais aussi du gouvernement suédois.

Avec quatre autres militants du groupe prokurde du "comité suédois Rojava", l'homme a pendu mercredi dernier l'effigie par les pieds façon Mussolini à son croc de boucher en 1945, pour selon lui illustrer le sort de tous les "dictateurs".

Le tout filmé devant l'hôtel de ville de Stockholm, emblème de la capitale suédoise et de ses prix Nobel.

La provocation fait mouche: l'ambassadeur suédois à Ankara est convoqué. La Turquie, où toute attaque contre le président est vue comme une attaque contre l'Etat, dénonce une "action terroriste".

Le Premier ministre suédois Ulf Kristersson parle lui d'un "sabotage" de la candidature de son pays à l'Otan, d'un "simulacre d'exécution d'un dirigeant démocratiquement élu".

"On ne s'attendait pas à ce que ça devienne si gros", reconnaît Andreas. "Mais évidemment c'est bien qu'on en parle. Toutes ces actions que nous faisons montrent juste de plus en plus à quel point la Turquie est anti-démocratique".

"Dans un pays normal, dans une démocratie normale, personne n'aurait réagi à ce point. Donc on espère montrer à de plus en plus de gens que ce n'est pas un partenaire pour la Suède".

Lui se décrit comme un sympathisant "socialiste" s'étant passionné pour la cause kurde du fait de la guerre en Syrie. Et assume un "sabotage" politique pour tenter de convaincre que l'Otan n'en vaut pas la chandelle.

- "Petit groupe" -

"Pour moi le sabotage ce n'est pas un mauvais mot, car on peut atteindre beaucoup d'objectifs politiques par le sabotage", plaide le trentenaire.

Le comité Rojava, assure-t-il, n'est qu'un "petit groupe" de moins de 100 sympathisants, "sans soutien financier ou rien. Donc on utilise les moyens qu'on a".

En Suède, l'adhésion à l'Otan a longtemps été un tabou, notamment à gauche. L'invasion de l'Ukraine a précipité les choses, ainsi que la perspective d'une adhésion de la Finlande voisine.

Les sondages montrent une inversion brutale en faveur de l'Otan, mais plusieurs jugent le débat politique escamoté avant l'annonce de la candidature, mi-mai.

Les négociations poussives avec Ankara ont aussi installé la crainte que le pays nordique, qui s'est longtemps proclamé "superpuissance morale", soit prêt à trop de sacrifices au nom de la "realpolitik", y compris sur la liberté d'expression.

La Turquie exige de la Suède qu'elle durcisse drastiquement son attitude vis à vis de militants jugés proches du PKK, y compris via des extraditions pourtant bloquées par la justice.

Si la plupart des médias suédois ont estimé que l'opération du mannequin relevait d'une forme de mauvais goût, plusieurs d'entre eux ont souligné qu'elle rentrait dans la tradition constitutionnelle de liberté d'expression en Suède.

Un petit journal marqué à la gauche de la gauche, Flamman, a dans la foulée lancé un concours de caricatures du président Erdogan, doté d'une récompense de 10.000 couronnes (environ 900 euros).

La justice, saisie d'une plainte en diffamation, l'a elle classée sans suite lundi, ne voyant pas de quoi déclencher une enquête.

"On savait que ce n'était pas un délit, on a des juristes dans notre groupe", raconte Andreas. "Nous ne violons aucune loi et faisons ce que nous pouvons pour protester."

Preuve que leur acte était assez anodin pour la Suède, il a eu lieu en plein jour, à la vue des passants.

"Les gens s'en fichaient. Des gens sont venus en demandant: +Qu'est ce que c'est?+ ou +est-ce que c'est Erdogan?+. Ils posaient des questions mais ce n'est pas comme si c'était important".

Le groupe organise une manifestation contre le régime turc samedi à Stockholm.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.