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En Irak, la pandémie porte un coup aux spéculateurs


Mercredi 5 août 2020 à 09h54

Souleimaniyeh (Irak), 5 août 2020 (AFP) — Au Kurdistan et dans les villes saintes chiites d'Irak, échanger des dollars contre des rials iraniens a longtemps été un bon business, mais le nouveau coronavirus et la fermeture des frontières avec le voisin iranien a porté un coup aux spéculateurs.

Les hommes d'affaires et pèlerins iraniens, qui viennent nombreux dans ces régions, paient habituellement en rials iranien.

Et nombre d'Irakiens, dont la monnaie n'a pas connu de grosses variations par rapport au dollar depuis des années (actuellement 1.250 dinars pour un dollar), ont pris l'habitude de jouer avec le cours du rial face au dollar, devise utilisée fréquemment dans le pays.

Jusqu'en mars, avant le confinement général en Irak pour tenter d'endiguer la pandémie, un dollar valait environ 150.000 rials.

Mais aujourd'hui, le billet vert en vaut 250.000, explique à l'AFP Amanaj Saleh, changeur à Souleimaniyeh, deuxième ville du Kurdistan irakien proche de l'Iran.

Et les Irakiens qui avaient misé sur une fin rapide la pandémie et un rebond de la monnaie iranienne ont déchanté.

- Tourisme religieux en berne -

Comme ailleurs, l'économie irakienne a été très touchée par les conséquences des mesures prises pour enrayer la pandémie. Selon un récent sondage mené par l'ONG International Rescue Committee (IRC), 87% des personnes interrogées assuraient ne plus pouvoir travailler à cause du nouveau coronavirus.

L'Irak traverse la pire crise économique de son histoire récente, le prix du pétrole -- qui assure la quasi-totalité des recettes publiques -- a chuté et l'austérité s'annonce sévère.

"Depuis l'apparition du nouveau coronavirus (...) les gens qui ne peuvent plus travailler utilisent leur capital pour l'investir dans la monnaie iranienne et tenter de faire du profit" en revendant ensuite leurs rials, explique M. Saleh, petite moustache grise taillée de près.

Mais, poursuit-il, entre les sanctions américaines qui étouffent l'économie iranienne et l'arrêt du commerce officiel entre les deux voisins, "les gens qui avaient acheté des rials iraniens au taux de 200.000 rials pour un dollar peuvent les revendre mais à un taux moins intéressant: 250.000 rials pour un dollar".

Hazar Rahim, un commerçant de Souleimaniyeh, en a fait la douloureuse expérience.

"Récemment, j'ai acheté cinq milliards de rials iraniens", raconte-t-il à l'AFP. "Je misais sur le marché mais (...) en quelques heures, le rial a chuté et le manque à gagner est de 13.000 dollars."

Dans le Sud, à Kerbala et Najaf, les deux grands lieux saints du chiisme mondial, des habitants racontent des histoires similaires.

Des millions de pèlerins iraniens, les poches pleines de rials, assurent habituellement aux deux cités des revenus ayant atteint certaines années l'équivalent de cinq milliards de dollars.

Ce secteur assurait aussi des centaines de milliers d'emplois et comptait pour environ 2,5% du PIB, selon les chiffres officiels.

- Marasme économique -

Mais aujourd'hui, avec le confinement, les Iraniens ne remplissent plus ni les échoppes ni les restaurants aux rideaux baissés. Et les billets qu'ils ont laissés ne valent plus grand-chose.

Car depuis le retrait unilatéral des Etats-Unis en 2018 de l'accord sur le nucléaire iranien et le rétablissement des sanctions américaines contre la République islamique, l'économie iranienne ne cesse de s'écrouler.

L'épidémie de nouveau coronavirus en Iran -- la pire de la région avec plus de 17.000 morts -- n'a fait qu'aggraver la situation du pays qui a dû réduire ses exportations, entraînant dépréciation et une forte hausse de l'inflation.

Selon le Fonds monétaire international (FMI), le PIB iranien devrait chuter encore de 6% en 2020 après avoir plongé de 7,6% en 2019. L'économie irakienne, elle, devrait se contracter de près de 10% cette année.

Pris à la gorge et décidés à continuer à espérer une remontée surprise du rial iranien, des dizaines d'Irakiens continuent malgré tout de s'entasser dans l'échoppe du changeur Amanaj Saleh.

Masqués mais collés les uns aux autres, tous tentent d'atteindre le guichet pour échanger billets américains et iraniens. Dans l'espoir de jours meilleurs.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.