Vendredi 17 octobre 2014 à 10h18
Erbil (Irak), 17 oct 2014 (AFP) — Ils sont assis devant des boissons énergétiques, smartphones sur la table, en jean et chemise. De retour du front contre le groupe de l'Etat islamique, les jeunes peshmergas sont loin du cliché des combattants des montagnes kurdes.
On les avait presque oubliés depuis les années 1990 et la fin des insurrections contre Bagdad. Des peshmergas, " ceux qui ne craignent pas la mort ", était restée l'image un peu surannée de montagnards féroces menant une guerre de guérilla, kalachnikov à la main.
Mais l'offensive lancée en Irak début juin par l'EI a poussé toute une nouvelle génération à revêtir l'uniforme kaki. Des jeunes combattants qui donnent une image bien différente : modernes, urbains, biberonnés aux nouvelles technologies -- presque décevants de normalité.
Beaucoup ont grandi en ville, dans ce Kurdistan en plein boom économique qui connait depuis plusieurs années une croissance supérieure à 10%. Ils parlent Facebook, Viber ou Whatsapp. Ont souvent connu la guerre à travers les jeux vidéo -- même si beaucoup ont appris à tirer avec la kalachnikov familiale.
A Erbil, de retour du front, ils troquent l'uniforme militaire contre un autre, urbain, et, quand ils sortent le soir, ils laissent dans la voiture un fusil d'assaut. En repartant à la guerre, ils glissent leur smartphone dans une poche du gilet pare-balles.
" C'est la mondialisation, c'est un nouveau monde, et nous devons nous y adapter", commente le général peshmerga Sirwan Barzani.
"Les jeunes d'aujourd'hui, ils ont tout: la technologie, les smartphones, les applications... J'en ai vu un, hier au front, il avait un Iphone 6", s'amuse-t-il.
- 'Les anciens sont plus forts' -
Dans la guerre contre l'EI, les générations cohabitent. Anciens en habit traditionnel - vêtement brun fendu jusqu'à la taille et large ceinture de tissu -, nouveaux avec casquette, lunettes de soleil et smartphone. " Vous avez Facebook? " demandent-ils aux visiteurs occasionnels.
Basé dans les environs de Gwer, localité reprise à l'EI mi-août, Mohammed, 19 ans, reconnaît que "les anciens sont plus forts que nous". "Même s'ils sont vieux, ils sont plus résistants, et ils connaissent des techniques que nous n'avons pas", ajoute-t-il.
"Même si on les entraîne et qu'on leur donne beaucoup d'informations, les jeunes ont toujours besoin d'un combattant expérimenté avec eux", souligne Rashid Yasin Rashid Mouzouri, 63 ans, dont près de 50 comme peshmerga.
"La vie de maintenant est différente. Les jeunes d'aujourd'hui ont tout", selon lui. "De notre temps, on nous donnait un seul morceau de pain, et on devait tenir une semaine entière avec. Aujourd'hui, les jeunes, quand ils vont au front, il leur faut de la vraie cuisine".
Mais la guerre aussi a changé. "Avant on se battait dans la montagne", souligne Khaled, 74 ans. "Maintenant le combat se fait en plaine, c'est beaucoup plus difficile: l'ennemi est en face de toi, tu ne peux pas te cacher".
"Et, de notre temps, on combattait à armes égales avec l'armée irakienne", ajoute-t-il. "Ce n'est pas le cas aujourd'hui contre l'EI", qui s'est notamment emparé, au début de son offensive, d'armes puissantes fournies par Washington à l'armée irakienne.
- Un statut social -
Par-delà la responsabilité, l'honneur, la défense de la patrie, une idée pointe, en filigrane, chez les jeunes combattants: être peshmerga, c'est accéder à un certain statut social, à une respectabilité.
"Il m'est arrivé de me faire arrêter par la police après une infraction en voiture. Quand ils voient mes papiers militaires de peshmerga, ils me laissent repartir", s'amuse un jeune combattant.
Mais, bien que stéréotypé, ce prestige, à en croire les anciens peshmergas eux-mêmes, est fondé. "Même si ces jeunes ont la vie douce, ils sont braves", reconnait Rashid.
Khaled, lui, n'a qu'un conseil à donner aux "nouveaux": "Défendez toujours notre terre et notre peuple". Et d'ajouter: "Ne cessez pas le combat tant que vos mains ne seront pas rouges du sang de l'ennemi".
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.