Page Précédente

Du désespoir plein les malles, Haresh veut chercher un avenir en Europe


Mardi 12 juillet 2022 à 06h45

Souleimaniyeh (Irak), 12 juil 2022 (AFP) — "Il n'y a pas d'avenir, ici"! Au Kurdistan d'Irak, sa paie arrive au compte-gouttes et les luttes politiques usent sa patience. "Bientôt", Haresh Talib va tenter avec sa famille de migrer illégalement en Europe. Pour la deuxième fois.

Ce Kurde irakien de 36 ans vit dans un quartier propret de Souleimaniyeh, deuxième ville du Kurdistan dans le nord de l'Irak. Il habite le premier étage d'une maison avec sa femme et ses deux garçons.

Dans le salon, la télévision diffuse le dessin animé "Peppa Pig" qui amuse tant Haudin, 8 ans. Dehors, Hajant, 12 ans, taquine le ballon. "J'adore le Real Madrid, je suis fan de Benzema", dit-il dans un anglais limpide.

Pourtant l'image de la famille de la classe moyenne à qui rien ne manque est trompeuse.

"Bientôt", Haresh Talib et les siens feront leurs valises pour rejoindre la route de l'émigration illégale, comme des milliers de Kurdes d'Irak.

Aller simple pour la Turquie, puis tentative de traversée de la mer Egée pour rallier la Grèce? Le père de famille refuse de le dire. Tout juste révèle-t-il qu'il souhaite aller jusqu'en Grande-Bretagne, "mais si ça ne marche pas, j'irai en Allemagne", où il compte sur des proches pour subvenir à ses besoins au début.

"Dans ces pays-là, on peut travailler, on peut garantir des études aux enfants", assène-t-il. "Je me soucie plus de leur vie que de la mienne."

Cet Irakien veut sortir sa famille du Kurdistan, une "jungle" où ses enfants manquent souvent les cours à cause des grèves des enseignants, eux-mêmes excédés de ne plus toucher leurs salaires.

- "Intimidations" -

Haresh Talib a deux emplois pour faire bouillir la marmite: imprimeur et fonctionnaire. "Le gouvernement nous demande de travailler, mais il ne nous paie pas les salaires accumulés depuis des années", souffle-t-il.

Le Kurdistan, qui jouit d'une large autonomie, est parvenu à se façonner l'image d'une région stable, propre à attirer les investisseurs étrangers.

Mais pour la population, la réalité est tout autre. Le chômage y frappait en 2021 17,4% de la population active contre 14% à l'échelle du pays, selon le ministère irakien du Plan.

Surtout, deux foyers du Kurdistan sur trois vivent d'un salaire ou d'une pension d'Etat. Or, les versements sont chroniquement en retard en raison du bras de fer entre le gouvernement régional kurde et le pouvoir central à Bagdad, ce dernier étant accusé de ne pas verser au Kurdistan sa part du budget fédéral destinée aux fonctionnaires.

"Ces dernières années, la crise économique s'est doublée de l'idée que la corruption est généralisée, que les inégalités grandissent et que la situation politique stagne", analyse Shivan Fazil, chercheur au Stockholm International Peace Research Institute.

"Ce sont les facteurs principaux qui ont déclenché la dernière vague de migration du Kurdistan."

C'est sans compter avec les "intimidations" et "arrestations arbitraires" qui pèsent comme une chape de plomb sur la liberté d'expression, selon un rapport de l'ONU datant de 2021.

Enfin, la menace des bombes n'est pas si loin: dans le nord de l'Irak, l'armée turque mène une opération visant, selon elle, des bases des rebelles kurdes turcs.

- Faux passeports -

Haresh Talib apostrophe, lui, les "luttes politiques" qui agitent la région autonome riche en pétrole et que tiennent deux clans familiaux rivaux: les Barzani à Erbil et les Talabani à Souleimaniyeh.

"Maintenant ce sont leurs fils qui ont pris la relève", se désole-t-il, fustigeant des élites déconnectées du quotidien de la population et évoquant des "menaces" contre lui, sans en préciser la nature.

Comme des milliers de migrants du Kurdistan, il s'est rendu l'année dernière par avion à Minsk avec sa famille, avant de se retrouver coincé à la frontière entre le Bélarus et la Pologne.

Entre octobre et décembre 2021, il a tenté par trois fois d'entrer illégalement en Pologne avec sa famille. Les deux premières fois, il a payé un passeur.

Lors d'une tentative, "un chien des garde-frontières a sauté sur mon fils. J'ai frappé le chien, mais les policiers m'ont battu puis nous ont arrêtés".

Pour la troisième tentative, ils se sont procuré de faux passeports grecs.

"Nous avons essayé de passer (en Pologne) depuis Brest, la dernière ville du Bélarus avant la frontière, mais nous avons été arrêtés à cause des faux passeports, puis emprisonnés", explique l'Irakien.

Expulsé en décembre vers le Kurdistan, il ne s'est pas défait de son obsession: retenter le coup pour "sortir de cette jungle".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.