
Mercredi 12 novembre 2025 à 18h19
Paris, 12 nov 2025 (AFP) — Du village afghan jusqu'à la plage du littoral français: six hommes jugés à Paris pour un naufrage dans la Manche qui a fait sept morts en 2023 sont accusés d'avoir orchestré le "recrutement" de candidats à l'exil, originaires comme eux d'Afghanistan.
Dans ce dossier jugé depuis le 4 novembre, ces six Afghans sont soupçonnés de représenter "la filière chargée du recrutement", selon les juges en charge de l'instruction, qui les accusent dans leur ordonnance de renvoi de former l'une des deux branches d'un réseau de passeurs présumés qui proposait à des migrants en situation irrégulière le passage vers l'Angleterre à bord d'embarcations de fortune.
L'autre branche, en charge de la logistique, est dirigée par "la communauté irako-kurde", selon les juges. Au total, neuf prévenus comparaissent notamment pour homicides involontaires.
Sur les 65 naufragés dans la nuit du 11 au 12 août 2023, tous étaient Afghans à l'exception des deux pilotes présumés, des ressortissants soudanais poursuivis dans ce dossier.
Pour les recruter, selon les enquêteurs, ces prévenus parfois originaires du même village que des naufragés jouaient pour certains un rôle de "rabatteur", tandis que d'autres étaient chargés de les mettre en relation avec la filière irako-kurde, qui disposait des "small boats" destinés aux traversées.
Parka ample et barbe soigneusement peignée dans le box des prévenus mercredi, Mohammad Yusaf A., 30 ans, avait placé huit candidats au passage à bord du bateau qui a fait naufrage, d'après les enquêteurs.
Il devait donner "les instructions à suivre", selon un message daté de 48 heures avant le drame, retrouvé sur le téléphone d'un rescapé.
- Traversé ou remboursé
Le téléphone de Mohammad Yusaf A., officiellement livreur UberEats, bornait sur la plage près de Calais d'où s'est élancé le pneumatique surchargé au moment de sa mise à l'eau, vers 2H00 du matin. Mais l'intéressé, comme les autres prévenus, nie tout en bloc.
Lui était sur place simplement pour transmettre des condoléances à un cousin en deuil, tandis que d'autres étaient venus "pêcher" ou encore tenter eux-mêmes la traversée, selon leurs déclarations.
Par "peur", Muhammad Usman M., demandeur d'asile de 30 ans, est lui aussi devenu taiseux dans le box vitré.
Devant les enquêteurs, il avait ainsi défini son rôle: "Les passeurs m'avaient envoyé les passagers et je les avais envoyés auprès des autres, qui étaient associés avec les Kurdes".
Coudes sur la barre, il concède aujourd'hui avoir joué un rôle "d'aide logistique". "Je leur ramenais de la nourriture et j'ai installé des tentes" sur le campement de Calais, antichambre des traversées clandestines, a-t-il expliqué, avant de se retrancher dans le silence.
Il a invoqué l'amnésie, par exemple, lorsque la présidente l'a interrogé sur des messages reçus par un passeur afghan, déjà condamné dans ce type de dossiers. A travers ce dernier, des familles de victimes qui ont péri dans la traversée cherchaient à joindre Muhammad Usman M. pour être indemnisées.
"Dis-lui qu'on va lui rendre l'argent mais qu'on ne sait rien", suggère-t-il de répondre au frère d'un défunt dans un message du 20 septembre 2023, un mois après le drame.
En filigrane, le procès esquisse également la tentation de la "branche" afghane de s'émanciper du réseau présumé et devenir autonome sur le littoral français.
Une autre communication interceptée entre deux présumés passeurs afghans résume cette ambition: "Si on se réunit, on n'aura plus besoin des Kurdes. Quelles que soient les conséquences, nous voulons notre point d'embarquement", suggère l'un d'eux.
Le ministère public doit prendre ses réquisitions jeudi. Le jugement est attendu le 18 novembre.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.