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Des espoirs d'ailleurs, 7 Afghans noyés: dix hommes bientôt jugés pour un naufrage dans la Manche en 2023


Mardi 1 juillet 2025 à 17h48

Paris, 1 juil 2025 (AFP) — Dix hommes, dont un mineur, seront jugés à Paris, tenus pour responsables du naufrage mortel dans la Manche en août 2023 d'une embarcation surchargée tentant de rallier l'Angleterre.

Dans la nuit du 11 au 12 août 2023, le canot, qui transportait une soixantaine de personnes à majorité afghanes, a subi une avarie moteur. Sept Afghans, nés entre 1989 et 2002, ont perdu la vie, tandis que 58 personnes ont été secourues.

Deux ans après le drame, deux juges d'instruction ont ordonné fin juin le procès dans les mois à venir de neuf hommes devant le tribunal correctionnel - deux sont visés par des mandats d'arrêt.

Un dixième, 16 ans au moment des faits, sera jugé devant le tribunal pour enfants.

L'information judiciaire a mis au jour "l'alliance" depuis 2022 "de plusieurs branches" criminelles avec des "rôles prédéfinis", d'après l'ordonnance des juges dont l'AFP a eu connaissance: une "filière irako-kurde" chargée de la logistique et une "filière afghane" s'occupant de trouver des candidats à l'exil.

Des conversations, dont les enquêteurs ont eu connaissance, esquissent les contours d'une organisation violente à but lucratif - un Irakien, par exemple, menaçait d'intimider ses "concurrents" en "faisant exploser leur bateau" pour les empêcher d'organiser des passages.

- "Catastrophes naturelles" -

Avec des protagonistes semblant minimiser la dangerosité de leur offre, comme le montrent des échanges téléphoniques captés en prison, après leurs mises en examen: les traversées mortelles sont alors comparées à des "catastrophes naturelles".

- Tu as plus d'expérience que moi dans ce domaine, ça vous est arrivé aussi, lance l'un des passeurs présumés à un autre homme au téléphone.

- Personne ne t'en veut, personne ne dit que c'est vous qui les avez tués, mais vous savez qu'il y a des limites à respecter. On n'embarque pas 70 ou 80 personnes dans un bateau, lui répond son interlocuteur.

- On ne les a pas embarqués, ils sont montés eux-mêmes.

Ces hommes seront jugés pour homicides et blessures involontaires, mise en danger de la vie d'autrui, association de malfaiteurs criminelle ainsi que pour aide à l'immigration irrégulière.

"Je ne comprends pas que les infractions d'homicides et de blessures involontaires, ainsi que de mise en danger, soient retenues contre mon client car l'enquête n'a pas établi qu'il a envoyé des personnes dans l'embarcation qui a fait naufrage", a réagi auprès de l'AFP Emmanuel Pire, avocat d'un Afghan.

- "Pilotes" ou "pions" ? -

Un Soudanais et un Sud-Soudanais sont eux accusés d'avoir piloté le canot, en échange d'une traversée moins chère, mais ne sont pas soupçonnés de préparatifs.

"Mon client a toujours démenti avoir piloté", a assuré à l'AFP Delphine Schlumberger, avocat du Sud-Soudanais. Ces "pilotes" font figure de "pions", estime l'avocate: la justice française les place "en détention provisoire pour montrer qu'elle est active... mais les têtes de réseau ne sont toujours pas attrapées".

"On sait bien que les passeurs ne montent pas dans le bateau, ils ne veulent pas se mettre en danger", a abondé Raphaël Kempf, avocat du Soudanais.

"Ces deux hommes, eux, sont montés sans gilet de sauvetage. En les poursuivant, la justice française ne cherche pas à lutter contre des réseaux, mais à criminaliser l'exil" alors que ces hommes sont "des victimes des politiques migratoires instaurées par la France et l'Angleterre", a affirmé l'avocat.

Cette "criminalisation" des migrants s'est "intensifiée ces dernières années", a aussi estimé Charlotte Kwantes, porte-parole de l'association de soutien aux migrants Utopia 56. "Mais on détourne alors le regard des vraies questions structurelles: comment se fait-il que les sept Afghans morts noyés n'aient pas obtenu l'asile, et soient obligés de traverser la Manche de manière irrégulière ?"

Ce naufrage est l'un des plus meurtriers survenu ces dernières années dans la Manche, après celui qui a fait 27 morts le 24 novembre 2021 au large de Calais, une affaire encore en cours.

Lundi, neuf passeurs ont été condamnés à Lille à sept et huit ans de prison pour un naufrage ayant coûté la vie à huit personnes dans la Manche en décembre 2022.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.