Mardi 1 juillet 2025 à 12h35
Paris, 1 juil 2025 (AFP) — Dix hommes, dont un mineur, seront prochainement jugés à Paris, tenus pour responsables du naufrage mortel dans la Manche en août 2023 d'une embarcation surchargée tentant de rallier l'Angleterre.
Dans la nuit du 11 au 12 août 2023, le canot, qui transportait une soixantaine de personnes à majorité afghanes, a subi une avarie moteur. Sept Afghans, nés entre 1989 et 2002, ont perdu la vie, tandis que 58 personnes ont été secourues.
Deux ans après le drame, les deux juges d'instruction parisiennes ont ordonné fin juin un procès pour neuf hommes devant le tribunal correctionnel - deux sont visés par des mandats d'arrêt. L'audience doit se tenir dans les mois à venir.
Un dixième, âgé de 16 ans au moment des faits, sera jugé devant le tribunal pour enfants.
L'information judiciaire a mis au jour "l'alliance de plusieurs branches" criminelles, travaillant avec des "rôles prédéfinis" depuis 2022, d'après l'ordonnance des juges dont l'AFP a eu connaissance.
D'une part, une "filière irako-kurde" chargée de la logistique et d'autre part, une "filière afghane" s'occupant de trouver des candidats à l'exil.
Des conversations, dont les enquêteurs ont eu connaissance, esquissent les contours d'une organisation violente à but lucratif - un Irakien, par exemple, menaçait d'intimider ses "concurrents" en "faisant exploser leur bateau" pour les empêcher d'organiser des traversées.
- "Catastrophes naturelles" -
Avec des protagonistes semblant minimiser la dangerosité de leur offre, comme le montrent des échanges téléphoniques captés dans leurs cellules, en prison, après leurs mises en examen: les traversés mortelles sont alors comparées à des "catastrophes naturelles".
- Tu as plus d'expérience que moi dans ce domaine, ça vous est arrivé aussi, lance l'un des passeurs présumés à un autre homme au téléphone.
- Je comprends cela parfaitement, personne ne t'en veut, personne ne dit que c'est vous qui les avez tués, mais vous savez qu'il y a des limites à respecter. On n'embarque pas 70 ou 80 personnes dans un bateau, lui répond son interlocuteur.
- On ne les a pas embarqués, ils sont montés eux-mêmes.
Ces hommes seront jugés pour homicides et blessures involontaires, mise en danger de la vie d'autrui, association de malfaiteurs criminelle ainsi que pour aide à l'immigration irrégulière.
"Mon client conteste toute participation à ces faits", a réagi auprès de l'AFP Chirine Heydari-Malayeri, avocate de l'un des Afghans.
"Je ne comprends pas que les infractions d'homicides et de blessures involontaires, ainsi que de mise en danger, soient retenues contre mon client car l'enquête n'a pas établi qu'il a envoyé des personnes dans l'embarcation qui a fait naufrage", a réagi auprès de l'AFP Emmanuel Pire, avocat d'un autre suspect afghan.
- "Pilotes" ou "pions" ? -
Un Soudanais et un Sud-Soudanais sont eux accusés d'avoir piloté le canot, en échange d'une traversée moins chère, mais ne sont pas soupçonnés de préparatifs.
Sauf qu'aux yeux de Raphaël Kempf, avocat du Soudanais, ces hommes sont également "des victimes" des filières. "On sait bien que les passeurs ne montent pas dans le bateau, ils ne veulent pas se mettre en danger. Ces deux hommes, eux, sont montés sans gilet de sauvetage", souligne l'avocat. "En les poursuivant, la justice française ne cherche pas à lutter contre des réseaux, mais à criminaliser l'exil".
"Quand un Zodiac est mis à l'eau, dans des conditions incroyables de danger, l'ensemble des passagers va contribuer à la réussite du passage car ils espèrent rejoindre l'Angleterre", a poursuivi Me Kempf.
Pour Delphine Schlumberger, avocate du Sud-Soudanais, ces "pilotes" font figure de "pions", placés "en détention provisoire pour que la justice française puisse montrer qu'elle est active, mais les têtes de réseau ne sont toujours pas attrapées".
"Il a toujours démenti avoir piloté. C'est un mineur qui pleurait en parlant de sa mère, qu'il voulait aider financièrement", a raconté Me Schlumberger.
Ce naufrage est l'un des plus meurtriers survenu ces dernières années dans la Manche, après celui qui a fait 27 morts le 24 novembre 2021 au large de Calais, une affaire qui n'a pas encore été jugée.
Lundi, neuf passeurs, Afghans pour la plupart, ont été condamnés à Lille à sept et huit ans de prison pour un naufrage ayant coûté la vie à huit personnes dans la Manche en décembre 2022.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.