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Dans les montagnes kurdes du Dersim, la population veut croire à la paix


Vendredi 18 janvier 2013 à 16h39

TUNCELI (Turquie), 18 jan 2013 (AFP) — Ce vendredi, toute la ville de Tunceli enterre une enfant du pays, Sakine Cansiz, une des trois militantes du PKK assassinée la semaine dernière à Paris. Mais, malgré la douleur et la colère, la population de ce fief kurde de l'est de la Turquie veut encore croire à la paix.

Depuis 1984, la région montagneuse du Dersim, dont Tunceli fait figure de "capitale" avec ses 30.000 habitants, est l'un des principaux théâtres de la guerre qui oppose les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) à l'armée d'Ankara.

Mais la donne y est peut-être en train de changer, avec la reprise le mois dernier de discussions entre le chef emprisonné du PKK, Abdullah Öcalan, et les autorités turques.

"On veut y croire. La paix, c'est mieux que la mort et la désolation, non ?", s'exclame Kürsat, un coiffeur de 26 ans, dans le cortège de plusieurs milliers de personnes qui accompagne le cercueil de Sakine Cansiz vers la salle de prières de Tunceli.

"Je ne sais pas si le gouvernement a vraiment la volonté d'avancer, mais nous, on veut se donner cette chance", poursuit le jeune homme.

Derrière la dépouille de la militante, une des fondatrices du PKK considéré comme très proche d'Abdullah Öcalan, hommes et femmes reprennent les slogans du PKK, mais s'abstiennent d'accuser les autorités.

"Tout est possible. Ce sont peut-être des puissances étrangères qui ont organisé ce crime. Ou bien des forces obscures à l'intérieur de l'Etat turc", estime Makule, une femme au foyer de 36 ans.

Espoirs

Cette mère de famille veut bien admettre, en l'absence d'éclaircissements venus de France, que le gouvernement islamo-conservateur du Parti de la justice et du développement (AKP) n'est peut-être pas le responsable de ce triple meurtre.

"Mais pour que l'on croie qu'il veut vraiment la paix, il faut qu'il fasse des pas. Il faut qu'il arrête les opérations de l'armée", ajoute-t-elle en rappelant que l'aviation turque a bombardé lundi et mardi des camps du PKK dans le nord de l'Irak.

Avec sa barbe de patriarche et sa riche expérience des prisons turques, le poète Hasan Ali Düzgünkaya, 55 ans, fait figure de vieux sage parmi les habitants de Tunceli.

Pour lui, le gouvernement a déjà accompli des pas significatifs.

"Il y a eu des déclarations importantes du gouvernement. La façon dont (le vice-Premier ministre) Bülent Arinç a dénoncé le triple meurtre de Paris m'a vraiment ému", dit-il.

"Je dénonce une telle atrocité commise sous la forme d'une exécution extra-judiciaire. C'est un acte déplorable", avait déclaré M. Arinç peu après le crime.

Autre signe d'une volonté de conciliation, les rues de Tunceli étaient totalement désertées par les forces de l'ordre vendredi et ses habitants pouvaient déployer en toute impunité les drapeaux du PKK.

La veille déjà à Diyarbakir, la principale ville du sud-est anatolien, si prompte aux embrasements, la police s'était faite très discrète alors que des dizaines de milliers de Kurdes rendaient hommage, sans incident, aux trois femmes abattues à Paris.

"En ce moment, on est dans une phase d'observation. Chaque partie regarde l'autre", commente Ali Mutlu, 50 ans. "De chaque côté, on a peur d'une provocation qui vienne détruire tout le processus, comme il y en a eu dans le passé".

Ali Mutlu et Hasan Ali Düzgünkaya voient dans la tuerie de Paris l'oeuvre de l'"Etat profond" --des groupes nationalistes et proches de l'armée contrôlés agissant au sein des rouages de l'Etat-- pour torpiller le processus de paix.

Mais cette fois, la tuerie de Paris, au lieu de rompre le fil ténu des discussions entre les autorités et les rebelles kurdes, pourrait le renforcer, estime le poète.

"Je veux croire que d'un tel mal peut naître un bien", espère Hasan Ali Düzgünkaya.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.