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Dans le nord de l'Irak, les bombardements turcs font fuir les habitants


Mercredi 9 juin 2021 à 09h47

Souleimaniyeh (Irak), 9 juin 2021 (AFP) — Un beau jour de mai, Yohanna Khouchfa a rassemblé ses 200 moutons et plié bagage avec les 120 habitants de son village du Kurdistan, effrayés par les drones turcs qui poursuivent chez leur voisin irakien le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).

"Les éclats d'obus qui pleuvent ont fait exploser nos fenêtres et nos meubles", raconte à l'AFP le maire de Jelki, village du secteur d'al-Amadiya.

"On a eu peur pour nos vies et on est partis", poursuit cet Irakien de 71 ans joint par téléphone tant la bande frontalière accidentée est dangereuse pour les journalistes ou observateurs indépendants.

Depuis que la Turquie a lancé le 23 avril une nouvelle campagne, aérienne et parfois terrestre, dans le nord de l'Irak, trois civils ont été tués hors du Kurdistan et quatre blessés dans les zones frontalières kurdes. L'un des morts hors du Kurdistan est, selon M. Erdogan, un commandant du PKK.

En outre, 300 familles --environ 1.500 personnes-- ont fui leurs villages, selon le ministère irakien des Déplacés.

- Retour plus qu'incertain -

D'autres avaient déjà quitté leur maison depuis longtemps, comme Berqi Islam, parti en 2017 de Chiladzi, localité proche de la Turquie où son frère a été emporté par un bombardement turc.

Avec les terres agricoles familiales brûlées par une énième campagne turque et zéro dédommagement des autorités kurdes ou fédérales irakiennes, il n'est toujours pas revenu.

De même que des milliers de familles yazidies ayant fui en 2014 les exactions des jihadistes et aujourd'hui effrayées à l'idée de rentrer au Sinjar, dans le nord-ouest de l'Irak, de peur des tirs turcs.

Et si Ankara se dit depuis 1992 déterminée à en finir avec le PKK, qu'elle considère avec ses alliés occidentaux comme "terroriste", le président Recep Tayyip Erdogan a récemment fait monter la pression.

"Il a déplacé du territoire turc au territoire irakien le combat contre le PKK", qui livre depuis 1984 une sanglante guérilla sur le sol turc ayant fait plus de 40.000 morts, affirme à l'AFP Aykan Erdemir, spécialiste de la question kurde turque et ex-député d'opposition en Turquie.

Ce à quoi le ministre turc de la Défense Hulusi Akar rétorque: "Bagdad dit qu'il va nettoyer la région", on dit +OK+ mais on dit aussi que (...) notre combat continuera jusqu'à ce que le dernier terroriste soit neutralisé".

De longue date, Bagdad et Erbil, capitale du Kurdistan irakien grand allié d'Ankara, ont accepté cette sous-traitance de la guerre, faute de pouvoir en finir avec le PKK.

L'Etat irakien, qui doit encore contenir les cellules clandestines du groupe Etat islamique (EI) et qui est régulièrement débordé par les combattants chiites pro-Iran, "ne dispose d'aucun moyen de pression sur le PKK pour le faire partir", explique Adel Bakawan, directeur du Centre français de recherche sur l'Irak (CFRI).

"Sans monopole de la violence et du contrôle sur son territoire, l'Irak s'en remet à un autre acteur régional" --Ankara--, poursuit le spécialiste.

Mais, désormais, M. Erdogan promet "l'éradication totale de la menace terroriste (...) tout le long de la frontière sud". M. Akar est même allé jusqu'à visiter les troupes début mai en Irak, alors que la dizaine de bases et les autres positions militaires que l'armée turque y a installées depuis un quart de siècle est illégale aux yeux du droit irakien.

- "Crime environnemental" -

Bagdad a convoqué à plusieurs reprises l'ambassadeur turc, mais les bombes continuent de tomber -- emportant 2,5% des forêts d'Irak, "un crime environnemental inhumain" pour le président irakien Barham Saleh.

Et les incursions turques sont de plus en plus profondes, "sur 10, 15 ou 20 kilomètres", assure à l'AFP Rivink Mohammed, député de la majorité au Parlement kurde lui-même originaire d'al-Amadiya.

"Jusqu'à cette dernière campagne, les forces turques entraient par les postes-frontières, maintenant, elles aménagent leurs propres voies de circulation pour éviter les passages officiels", renchérit son collègue d'opposition Ali Saleh.

La Turquie, accuse le PKK, veut réitérer en Irak le scénario de la Syrie. Là, Ankara a mené depuis 2016 trois offensives militaires pour contrôler un territoire de plus de 2.000 km2 dans le nord. Au Kurdistan irakien, Ankara pourrait prolonger son no man's land pour étouffer le projet de grand Kurdistan à cheval sur la Syrie, l'Irak, l'Iran et la Turquie.

"Ces attaques stratégiques visent à occuper des zones kurdes pour couper les contacts entre Kurdes et créer un cordon sécuritaire", affirme ainsi à l'AFP Zagros Hiwa, porte-parole du PKK.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.