Samedi 12 juillet 2025 à 14h28
Hakkari (Turquie), 12 juil 2025 (AFP) — Beaucoup refusent encore d'être identifiés. A Hakkari, dans le sud-est de la Turquie à majorité kurde, marqué par les violences entre l'armée et la guérilla kurde, le doute et l'anxiété demeurent. "Non la guerre n'est pas terminée".
La cérémonie bien orchestrée vendredi dans le nord-est de l'Irak tout proche, juste de l'autre côté de la frontière, qui a vu trente combattants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) brûler leurs fusils n'a guère convaincu de la pérennité du processus de paix enclenché.
Sur les trottoirs et dans les cafés d'Hakkari, fief kurde à 50 km de la frontière irakienne, les visages se ferment à son évocation. La guerre qui a fait 50.000 morts civils et 2.000 chez les soldats, selon le président Recep Tayyip Erdogan, a frappé dur ici.
La police, y compris des hommes en civil, patrouille les rues de la petite ville et fait sentir sa présence, a constaté l'équipe de l'AFP.
Par le passé, l'armée turque a conduit une féroce chasse aux forces du PKK, qualifiées de terroristes, repliées de l'autre côté de la frontière d'où elles menaient des incursions armées souvent meurtrières dans la région.
Un buveur de thé refuse d'être filmé en expliquant: "Nous ne parlons pas de ça, parce que nous ne savons jamais ce qui se passera demain".
"Nous pouvons dire quelque chose maintenant et demain être punis pour ça. La méfiance reste", lâche-t-il sous couvert d'anonymat en évoquant de précédentes tentatives de paix avortées: "On ne sait jamais".
Le chef de l'Etat, Recep Tayyip Erdogan a tenté de rassurer et convaincre samedi en affirmant que "la Turquie a gagné" et promettant "aux frères kurdes de régler les problèmes par le dialogue".
Il a également annoncé qu'une commission parlementaire allait étudier "et discuter des exigences juridiques du processus", comme l'a demandé le commandement du PKK.
- "toutes sortes de persécutions" -
Sur le trottoir devant le restaurant où il travaille, Mehmet Duman hausse les sourcils. A 26 ans, il en a vu assez pour douter, résume-t-il.
"Ils nous ont séparés, ségrégués, battus, simplement parce que nous sommes kurdes" expose le jeune homme. "Nous avons été témoins de toutes sortes de persécutions, d'oppressions, de tout..."
"Alors à partir de maintenant, s'ils (l'Etat) veulent un avenir pour la Turquie, s'ils veulent que la Turquie soit un bon environnement pour tous, que tout le monde revienne et puisse vivre librement, ils doivent arrêter tout ça".
"L'Etat doit faire un pas lui aussi", estime-t-il après l'opération symbolique de destruction des armes du PKK en Irak.
"Toutes ces années, des deux côtés, pour tous nos jeunes gens, le sang a été versé pour rien. On ne veut plus de ça".
"Ceux qui ont déposé les armes aujourd'hui auraient pu le faire plus tôt", souffle-t-il encore, en accusant aussi les membres du PKK.
"Ils appellent ça un processus de paix. Mais d'un côté ils font la paix avec les Kurdes et de l'autre ils arrêtent tous les membres du CHP", poursuit Mehmet.
Le CHP, parti social-démocrate, laïque, hérité de Mustafa Kemal Atatürk le fondateur de la République turque et première force d'opposition à M. Erdogan est dans le viseur du gouvernement qui a conduit des centaines d'arrestations dont celle du maire d'Istanbul, Ekrem Imamoglu.
"Il ne peut pas y avoir de paix ainsi", conclut le jeune homme. Et pourtant, enchaîne-t-il, "ceux qui ne veulent pas la paix sont ceux qui n'aiment pas leur pays".
"Mais aujourd'hui on se tait, on espère le meilleur, j'espère que ça arrivera. Mais je n'y crois pas".
Samedi matin, devant l'assemblée plénière de son parti AKP, le président Erdogan s'est voulu encourageant et apaisant, conscient des doutes que soulève ce processus.
"Nous savons ce que nous faisons, personne ne doit s'inquiéter, avoir peur ou se poser de question. Tout ce que nous faisons c'est pour la Turquie, pour notre avenir et notre indépendance", a-t-il martelé.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.