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Dans l'est syrien, comment filtrer les jihadistes de l'EI qui fuient parmi les civils?


Lundi 28 janvier 2019 à 11h18

Baghouz (Syrie), 28 jan 2019 (AFP) — Parfois une réponse hésitante ou un doigt rendu calleux par la gâchette suffisent: pour identifier les jihadistes potentiels, interrogatoires poussés et prélèvements d'empreintes attendent ceux qui fuient l'ultime réduit du groupe Etat islamique (EI) dans l'est de la Syrie.

Dans le désert aux abords du village de Baghouz, les camions continuent de déverser un flot incessant d'hommes, de femmes et d'enfants, qui ont abandonné les derniers territoires tenus par l'EI pour se livrer aux Forces démocratiques syriennes (FDS).

"Les hommes par ici, les femmes de ce côté", crie un des combattants de cette alliance arabo-kurde soutenue par Washington, dont certains ont le visage masqué.

Pour les hommes, un responsable des FDS prélève leurs empreintes digitales à l'aide d'un appareil, avant de les prendre en photo et de demander leur nom et leur nationalité.

Interrogé sur son pays d'origine, l'un d'eux hésite. Il bafouille des propos incompréhensibles, avant de se résigner à répondre: l'Irak. Il est envoyé vers un deuxième enquêteur qui va l'interroger, avant de passer devant un troisième qui a encore plus de questions.

Une fois ces interrogatoires terminés, les hommes sont maintenus à l'écart, assis par rangées au sol, à distance les uns des autres.

Pour reconnaître un homme aguerri au combat, il faut dans certains cas bien peu de choses. "Parfois tu a le sentiment que c'est un (combattant) de l'EI à cause des hésitations dans ses réponses", explique à l'AFP un des enquêteurs, refusant de s'identifier par mesure de sécurité.

"Ou alors s'il a des traces sur la main qui trahissent une utilisation intensive de la gâchette, ou des marques sur les épaules à cause de son gilet militaire", ajoute-t-il.

- "Civils ou combattants?" -

Des soldats de la coalition internationale emmenée par Washington, qui épaulent les FDS dans la lutte contre l'EI, patrouillent dans le secteur. Quel est leur rôle dans les opérations de filtrage? Personne ne le dit.

Depuis le lancement de leur offensive en septembre, les FDS ont conquis l'écrasante majorité du réduit de l'EI. Acculés dans leurs derniers retranchements, des irréductibles jihadistes tiennent toujours une poignée de hameaux et de terres agricoles.

Plus de 32.000 personnes, principalement des familles de jihadistes, ont quitté depuis début décembre les territoires de l'EI, selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH).

Parmi eux, plus de 2.700 combattants, qui se sont spontanément rendus ou qui ont été repérés au milieu de la foule, d'après la même source.

"J'avais peur d'être arrêté", confie à l'AFP un des nouveaux venus, dont les proches sont sortis il y a une semaine et ont été transférés vers le camp de déplacés d'Al-Hol dans le nord syrien.

"Je suis en contact avec eux et ils m'ont dit +sors il ne va rien t'arriver+", précise-t-il.

Les femmes sont aussi soumises aux procédures de vérification. Une combattante des FDS est chargée de vérifier les visages dissimulés derrière les niqab et de fouiller leurs affaires.

Pour les "immigrées", les étrangères de l'EI qui ne sont ni syrienne ni irakienne, leurs empreintes sont prélevées et on les prend en photo.

L'objectif de "cette opération de sécurité est de savoir qui sont ces déplacés. S'agit-il de civils ou des combattants cachés", explique à l'AFP Mohamed Souleimane Othmane, un responsable local chargé du transfert vers le camp d'Al-Hol.

- "Ils vont vous égorger" -

Assises et entourées de leurs enfants, les femmes n'ont qu'une seule question à la bouche. Quand irons-nous au camp d'Al-Hol?

Plusieurs d'entre elles affirment qu'un enfant est décédé durant la nuit à cause du froid. Et que deux femmes ont accouché.

Un camion arrive et tout le monde se précipite. C'est la distribution de pains.

Amena Hajj Hassan, originaire de la province d'Alep (nord), a quitté le village de Baghouz avec son fils de cinq ans.

Son époux, un "modeste employé" auprès de l'EI, est parti depuis déjà cinq mois pour rejoindre de manière illégale la Turquie, où il travaille, dit-elle.

"Je voulais sortir depuis le début des bombardements il y a plusieurs mois, mais on nous disait +les Kurdes vont vous égorger+", explique la jeune femme de 28 ans.

Elle est interrompue par Noura al-Ali, encore agitée après avoir été séparée de son mari par les procédures de sécurité.

"Les combattants de l'EI n'étaient plus en position d'empêcher les gens de sortir" ces derniers jours, assure la jeune femme de 18 ans.

Elle promet que "pas un jour" son époux n'a appartenu à l'EI. "Il travaillait dans un restaurant", se plaint-elle.

Elle-même désobéissait aux jihadistes, qui imposaient une interprétation rigoriste de l'islam, assure-t-elle. "J'écoutais de la musique en cachette".

Aujourd'hui, elle n'a qu'un souhait: "aller avec mon mari en Turquie pour retrouver notre famille".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.