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Damas pourrait utiliser des jihadistes évadés, préviennent des experts


Mercredi 16 octobre 2019 à 16h53

Paris, 16 oct 2019 (AFP) — Les évasions de jihadistes détenus par les Kurdes en Syrie, si elles interviennent en nombre à la faveur de l'offensive turque en cours, pourraient se changer en nouvelle carte dans le jeu du régime syrien, préviennent experts et officiels.

S'ils sont, d'une façon ou d'une autre, récupérés par les forces de Damas qui se déploient dans la région suite à un accord avec les forces kurdes syriennes, ils pourront être utilisés par le président Bachar al-Assad, craignent-ils.

Si les forces du président Assad "mettaient les mains sur des milliers d'ex-détenus de l'EI évadés, ce serait un désastre", estimait lundi, dans une série de tweets, le chercheur Charlie Winter, de l'International Centre for the Study of Radicalisation (ICSR) du King's College de Londres.

"Dans un premier temps, cela pourrait passer pour une bonne nouvelle mais, notez ce que je dis, il les utilisera un jour comme monnaie d'échange", écrit-il.

Jean-Pierre Filiu, spécialiste de la région et des mouvements jihadistes à Sciences-Po Paris, assure pour sa part à l'AFP que "le régime Assad est tout à fait prêt à appliquer au nord-est de la Syrie les techniques de recyclage et d'échanges de jihadistes qu'il a déjà mises en oeuvre dans la banlieue de Damas et au sud du pays", lorsqu'il a repris ces zones.

Le régime a été maintes fois accusé depuis le début du conflit en 2012 d'instrumentaliser les jihadistes pour semer le chaos et justifier la répression.

Le président syrien "aura aussi toute latitude pour détenir des militants et cadres jihadistes, aux fins d'échange, soit avec Daesh, soit avec des Etats occidentaux encore réticents à normaliser avec lui", ajoute M. Filiu.

Cette crainte d'une instrumentalisation par Damas de membres du groupe État islamique (EI) évadés des camps kurdes est partagée par une source sécuritaire française haut placée qui, n'étant pas autorisée à parler à la presse, demande à ne pas être identifiée.

- "Il les gardera au chaud"

Le président syrien "est assez prévisible dans son raisonnement. Il les gardera au chaud pour les utiliser pour faire pression", confie-t-il à l'AFP. "Il les instrumentalisera comme l'a très bien fait Kadhafi en son temps pendant des années".

L'ancien dirigeant libyen Mouammar Kadhafi s'était fait une spécialité de financer, aider ou héberger des groupes terroristes internationaux, afin de les utiliser plus ou moins clandestinement dans ses bras de fers successifs avec les grandes puissances.

Lundi, le ministre américain de la Défense Mark Esper a estimé que l'offensive militaire turque contre une milice kurde alliée des Occidentaux dans la lutte anti-EI avait causé la "libération de nombreux détenus dangereux" parmi les jihadistes.

Mardi, un haut responsable américain a nuancé ces craintes, assurant que son pays n'avait pas "constaté à ce stade d'évasion majeure" de prisonniers de l'EI.

Le Pentagone a précisé que pour l'instant seuls quelques dizaines de prisonniers ont retrouvé la liberté pour des raisons variées et que les forces kurdes, malgré la pression de l'offensive turque lancée, continuent de sécuriser les prisons.

Environ 12.000 combattants de l'EI, dont 2.500 à 3.000 étrangers, sont détenus dans les prisons sous contrôle des Kurdes, selon des chiffres de sources kurdes.

Les camps de déplacés du nord-est syrien accueillent en outre environ 12.000 étrangers, 8.000 enfants et 4.000 femmes, selon les même sources.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.