
Mardi 2 decembre 2025 à 05h01
Qandil (Irak), 2 déc 2025 (AFP) — Le combattant kurde progresse prudemment à bord de son pick-up sur une route sinueuse des montagnes du nord de l'Irak, avant de s'arrêter pour appeler ses camarades tapis dans un bunker voisin et les prévenir qu'ils vont avoir de la visite.
Après son coup de fil passé grâce à un téléphone suspendu à un arbre, il mène les journalistes de l'AFP jusqu'au bunker caché dans les montagnes de Qandil, où ils ont obtenu un rare accès à la base arrière du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
"Le processus de paix ne signifie pas quitter les montagnes", explique d'emblée dans un large sourire la commandante Serda Mazlum Gabar, longs cheveux nattés sur son treillis vert olive.
"Même si on part, on vivra de la même façon", ajoute-t-elle. "La nature ne me fait pas peur, mais je ne me sentirais pas en sécurité à me promener dans une ville, avec les voitures, la pollution et le trafic".
Répondant à l'appel de son fondateur et chef historique, Abdullah Öcalan, le PKK a pris la décision historique de déposer les armes après plus de quatre décennies de combats qui ont fait quelque 50.000 morts.
Une trentaine de combattants ont même symboliquement brûlé leurs armes en juillet pour prouver leur détermination - même si l'AFP a vu beaucoup de combattants armés lors de sa visite à Qandil.
- "Une vie choisie" -
Pendant des décennies, le PKK a trouvé refuge dans les montagnes d'Irak et de Turquie.
Mais même si les combats ont cessé, la vie du maquis "ne s'arrêtera pas": elle embrassera juste de nouvelles voies "pacifiques", explique la commandante.
"Nous n'avons pas été forcés à cette vie. Nous l'avons choisie", justifie-t-elle.
A l'entrée des lieux, un grand ventilateur apporte de l'air frais dans un étroit conduit s'enfonçant jusqu'au bunker creusé dans les montagnes.
Le court tunnel conduit ensuite à un couloir plus large, dans lequel des combattants et commandants du PKK en uniformes traditionnels - sarouel et gilet olive ou beige - se rangent pour accueillir les visiteurs.
Le corridor dessert alors plusieurs pièces, chacune ayant une fonction définie. L'une d'elles, à l'entrée décorée de plantes fraîches et guirlandes lumineuses, est réservée aux combattantes.
Les montagnes d'Irak ont récemment accueilli de nouveaux arrivants : des combattants ayant quitté la Turquie, une façon pour le groupe de montrer son engagement en faveur du processus de paix.
Parmi eux, Vejin Dersim: la jeune femme de 34 ans a rejoint le PKK quand elle en avait 23 et passé depuis l'essentiel de son temps dans le sud-est de la Turquie, à majorité kurde.
"Partir était très émouvant" dit-elle. "C'est un endroit très spécial, surtout parce que nous étions plus proches du leader Apo" - le surnom affectueux ("oncle", en kurde) donné par ses partisans au chef charismatique du PKK.
Abdullah Öcalan, 76 ans, est détenu depuis 26 ans sur l'île-prison d'Imrali, au large d'Istanbul. Dans le bunker visité par l'AFP, ses portraits trônent en bonne place aux murs, avec ceux des militants tués au combat.
Devrim Palu, 47 ans, est lui aussi revenu récemment en Irak. Il avait rejoint le PKK en 1999.
"Dans notre mouvement, peu importe où vous combattez, et on ne reste pas à un seul endroit", raconte-t-il d'une voix douce et basse. "Aujourd'hui est venu le temps du changement", ajoute-t-il, convaincu que le PKK pourra passer de la guerre à un engagement pacifique.
- "Les yeux fermés" -
Au fil des années, le PKK, toujours considéré comme une organisation terroriste par les Etats-unis et l'Union européenne, a participé à plusieurs pourparlers de paix avec les autorités turques qui n'ont pas abouti.
Mais il a aussi connu des changements profonds, passant de revendications séparatistes à celles de la reconnaissance et de l'égalité des droits pour les Kurdes.
Le mouvement affirme désormais entamer une nouvelle phase en poursuivant cet objectif par la voie démocratique.
Dans une cuisine du bunker, des membres du PKK pétrissent la pâte pour préparer le lahmajun, un pain plat garni de viande hachée. D'autres regardent la télévision ou prennent un thé, en bavardant dans les couloirs.
Une pièce est dédiée aux communications avec d'autres bases dans les montagnes environnantes.
Devrim Palu juge plus facile d'être basé en Irak, au plus près du commandement supérieur du mouvement et des informations fraiches, avance-t-il.
Qandil est le foyer du PKK depuis des années, offrant un refuge plus sûr que les montagnes du sud-est de la Turquie.
Au début, les combattants s'y cachaient dans des grottes, puis ils ont commencé à creuser pour aménager des dizaines de bunkers, bien entretenus, faisant de Qandil leur quartier général.
"Je pourrais conduire dans ces montagnes les yeux fermés", assure l'un d'eux, habitué à naviguer sur les pistes accidentées à grande vitesse et dans la nuit noire.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.