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Bombardements turcs dans le nord de la Syrie, fuite de 100.000 personnes


Vendredi 11 octobre 2019 à 19h38

Ras al-Ain (Syrie), 11 oct 2019 (AFP) — Les forces turques ont intensifié leurs bombardements meurtriers contre des cibles kurdes dans le nord de la Syrie, cherchant à s'emparer de secteurs frontaliers, au troisième jour d'une offensive ayant poussé 100.000 personnes à la fuite selon l'ONU.

Après avoir retiré la semaine dernière les soldats américains de secteurs en Syrie près de la frontière turque, laissant le champ libre à cette offensive, les Etats-Unis, qui ont ensuite dit chercher à arranger un cessez-le-feu, ont fait des déclarations contradictoires.

Vendredi, le chef du Pentagone Mark Esper a mis en garde la Turquie contre de "graves conséquences" si elle n'interrompait pas son assaut. Mais il a aussi dit que les Turcs ne montraient aucun signe en vue d'un arrêt de leur offensive alors que le chef d'état-major de l'armée américaine Mark Milley estimait de son côté que l'offensive turque était "relativement limitée".

Voisine de la Syrie en guerre, la Turquie a lancé mercredi son opération, impliquant des forces aériennes et terrestres, contre une milice kurde syrienne qu'elle considère comme "un groupe terroriste" et qu'elle dit vouloir éloigner de sa frontière.

L'offensive a suscité un tollé international, plusieurs pays s'inquiétant du sort des civils mais aussi des membres du groupe jihadiste Etat islamique (EI) détenus par les forces kurdes qui contrôlent de vastes régions du nord syrien, et qui pourraient s'enfuir.

Semblant confirmer ces craintes, les autorités kurdes ont affirmé que cinq jihadistes de l'EI s'étaient évadés d'une prison près de la ville à majorité kurde de Qamichli (nord-est) après des raids turcs.

En outre, une émeute a éclaté dans le camp d'Al-Hol contrôlé par les Kurdes et où vivent des milliers de familles de jihadistes présumés. Et l'EI a revendiqué un attentat à Qamichli qui a fait six morts.

Selon un dernier bilan de l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH), 41 combattants kurdes et 17 civils ont péri dans l'offensive kurde depuis mercredi. Ankara a annoncé la mort de quatre soldats en Syrie et de 17 civils dans la chute de roquettes kurdes sur des villes frontalières en Turquie.

Dans le nord syrien, les forces turques et leurs supplétifs syriens ont intensifié les bombardements, selon l'OSDH.

- Tunnels et tranchées -

"Il y a d'intenses combats (...) sur plusieurs fronts, principalement de Tal Abyad à Ras al-Aïn", villes frontalières, entre les Forces démocratiques syriennes (FDS) -une coalition de combattants arabes et kurdes- et les troupes turques et leurs alliés locaux, selon l'OSDH.

Les FDS, qui utilisent des tunnels et des tranchées pour se défendre, luttent pour freiner l'avancée des forces turques, qui ont pris le contrôle jeudi de 11 villages, dont deux ont été depuis repris par les Kurdes, a poursuivi l'ONG syrienne.

Tal Abyad et Ras al-Aïn, presque entièrement désertées par leurs habitants, sont les plus touchées, selon un centre de presse affilié aux autorités kurdes locales.

Certaines tribus arabes ont rejoint les rangs des forces turques et mené des attaques à l'intérieur des lignes kurdes en activant des cellules dormantes, selon la même source.

Selon l'ONU, 100.000 personnes ont fui depuis le début de l'offensive.

"Que veut de nous Erdogan? (...) C'est juste parce que nous sommes kurdes?", demande une femme qui a trouvé refuge avec sa famille dans une école de la ville de Hassaké plus au sud.

Des ONG ont mis en garde contre un nouveau désastre humanitaire en Syrie où la guerre, qui s'est complexifiée avec l'intervention de multiples acteurs régionaux et internationaux, a fait plus de 370.000 morts depuis 2011 et poussé des millions de personnes à la fuite.

- Discussions à l'ONU -

D'après les médias turcs, Ankara souhaite prendre le contrôle de la bande entre Ras al-Aïn et Tal Abyad afin d'éloigner de la frontière la principale milice kurde syrienne, les Unités de protection du peuple (YPG), épine dorsale des FDS et principal acteur dans la défaite du groupe jihadiste Etat islamique (EI).

La Turquie espère via cette offensive créer une "zone de sécurité" où pourront être installés une partie des 3,6 millions de réfugiés syriens vivant sur son sol.

En réponse aux critiques européennes contre l'offensive, le président turc Recep Tayyip Erdogan a d'ailleurs menacé d'envoyer en Europe des millions de réfugiés syriens accueillis par son pays.

Le feu vert donné de facto par les Etats-Unis à l'opération turque a été perçu comme une trahison par les forces kurdes, jusqu'alors alliées de la coalition internationale antijihadistes menée par Washington.

A New York, des discussions se poursuivent à l'ONU sur un texte américain visant à demander à la Turquie de revenir à la diplomatie plutôt que de poursuivre son offensive militaire, plusieurs diplomates soulignant que son adoption dépendait de la Russie.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.