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Au tribunal de Paris, débat sur la solidarité financière avec des jihadistes de l'EI


Mercredi 17 janvier 2024 à 21h13

Paris, 17 jan 2024 (AFP) — Elles disent avoir agi par solidarité familiale ou par humanité: deux mères de jihadistes qui ont envoyé de l'argent à leurs enfants en Syrie et deux journalistes ont vigoureusement nié mardi devant le tribunal correctionnel de Paris avoir participé au financement du terrorisme.

Les fonds transférés étaient destinés "non pas à l'Etat islamique, mais à ma fille", a ainsi soutenu Valérie B., 60 ans, au deuxième jour de ce procès de six personnes.

La justice lui reproche d'avoir envoyé plus de 6.000 euros sur les terres du "califat" autoproclamé.

Sa fille Cléa, convertie à l'islam et radicalisée, n'avait pas encore 17 ans lorsqu'elle est partie en Syrie, fin 2013. Elle y est morte dans un bombardement en 2019, avec ses enfants nés sur place.

Pendant de longs mois, mère et fille ont échangé de nombreux messages. "En panique" face à une situation sur place très difficile, Cléa réclamait parfois une aide financière.

"J'ai envoyé de l'argent pour qu'elle revienne et qu'elle subvienne à ses besoins", résume la mère. "Pour ma fille, j'aurais envoyé tout ce que j'avais".

"Vous lui avez envoyé non pas ce que vous aviez, mais ce que l'Etat (français) vous avait donné pour prévenir la radicalisation", ironise le représentant du parquet, Benjamin Chambre.

L'accusation reproche aussi à Valérie B. d'avoir détourné plus de 50.000 euros des comptes d'associations de parents en détresse, qu'elle avait fondées, et que les pouvoirs publics ont largement subventionnées.

Une autre mère, Anne S., 48 ans, qui a envoyé plus de 10.000 euros à son fils et sa fille en Syrie, a aussi évoqué leur situation matérielle très difficile et affirmé avoir seulement agi pour "préserver (leur) vie".

Sa fille est incarcérée depuis son retour en France en 2022, tandis que son fils est détenu par les forces kurdes en Syrie.

- "Pour moi c'était toléré" -

Deux journalistes, coautrices d'un livre sur les Françaises ayant rejoint l'EI, sont également poursuivies.

La justice reproche à Céline M., 44 ans, et Edith B., 43 ans, d'avoir transféré des fonds pour payer des passeurs et ainsi faire sortir plusieurs femmes de Syrie ou d'Irak.

A l'époque, en 2016-2017, de nombreuses familles de jihadistes envoyaient des fonds à leurs enfants: "pour moi c'était toléré", a déclaré au tribunal Céline M.

Pour les deux journalistes, les démarches qui leur sont reprochées ont permis de sauver des vies, à commencer par celle de Mélina Boughedir. A la mi-2017, cette jihadiste était bloquée en pleine guerre à Mossoul (Irak) avec ses quatre enfants, qui "mouraient de faim".

Elle a finalement été "exfiltrée" grâce à l'intervention d'un officier irakien corrompu pour ce faire - une opération dans laquelle les deux journalistes ont été impliquées avec un autre prévenu, l'ex-avocat Bruno V., 50 ans.

Ce dernier a reconnu des "fautes déontologiques" et "morales", mais pas d'avoir financé le terrorisme.

A la barre, Edith B. s'est dite persuadée que, sans cette opération, Mélina Boughedir aurait été tuée. Aujourd'hui, la jihadiste purge en Irak une peine de prison à perpétuité pour avoir rejoint l'EI. Ses enfants ont été rapatriés en France.

En revanche, son mari Maximilien Thibaut, lui aussi combattant de l'EI, a été tué lors du siège de Mossoul.

Sur ce point, Edith B. a regretté que l'opération n'ait pas permis son sauvetage et son transfert à la justice française: cela aurait peut-être permis d'éviter d'autres attentats, a-t-elle estimé, en référence aux liens passés entre M. Thibaut et Armand Rajabpour-Miyandoab, auteur de l'attaque près de la Tour Eiffel début décembre.

Pour le procureur, les sommes transférées sont conséquentes: elles ont permis aux jihadistes concernés de "tripler" leur revenu, par rapport à ce que leur versait l'EI.

En outre, a-t-il insisté, "envoyer de l'argent à quelqu'un qui est dans un groupe terroriste, même s'il vous dit que c'est pour se nourrir, c'est un délit, c'est comme ça".

Le procès se poursuit jusqu'au 24 janvier.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.