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Au procès de Saddam, l'austère juge Raouf peut aussi faire preuve d'humour


Jeudi 18 mai 2006 à 11h10

BAGDAD, 18 mai 2006 (AFP) — Le juge kurde Raouf Abdel Rahman, sévère et austère lors de sa prise de fonction en janvier à la tête du Haut tribunal pénal irakien qui juge l'ancien président Saddam Hussein et ses lieutenants, a montré qu'il savait aussi manier l'ironie au cours de l'audition cette semaine des témoins de la défense.

"Le juge, c'est moi, et vous, vous êtes l'accusé, vous devez obéir aux règles", avait lancé à Saddam Hussein le 29 janvier, avant de faire expulser sans ménagements le demi-frère du dictateur déchu, Barzan al-Tikriti.

Le juge au crâne dégarni et à l'apparence austère, portant de fines lunettes, s'est ainsi taillé une réputation de dur. Mais d'après les observateurs, il a aussi remis le procès sur les rails, ne tolérant plus les incessantes perturbations des accusés qui avaient ralenti le procès, ouvert le 19 octobre 2005 sous la présidence du juge Rizkar Mohammed Amine, démissionnaire.

Cette semaine avec l'audition des premiers témoins de la défense, le juge Raouf a révélé une nouvelle facette de sa personnalité, n'hésitant pas à manier l'ironie pour remettre en place les témoins, enclins à de longues digressions.

"Tenez-vous en aux faits, nous ne sommes pas là pour faire du Shakespeare", a-t-il ainsi demandé à un témoin qui ressentait le besoin d'étayer ses déclarations par de longs développements.

Et quand ce témoin a expliqué qu'il était venu au procès parce que l'accusé lui avait rendu service il y a des années, le juge Raouf n'a pas pu s'empêcher de se montrer sarcastique.

"S'il s'agit juste de lui renvoyer l'ascenseur, invitez le à dîner", s'est-il écrié.

D'autres témoins ont été admonestés. "Arrêtez d'écrire des poèmes!", leur a-t-il lancé alors qu'ils se perdaient dans des évocations lyriques chantant les qualités des accusés.

Au delà de l'anecdote, les coups de griffe du juge Raouf révèlent le manque flagrant de préparation et de sérieux des témoins de la défense des quatre accusés de second plan du procès, des responsables du parti Bass au pouvoir sous l'ancien régime dans la région de Doujaïl.

Saddam Hussein et ses sept co-accusés sont jugés pour le massacre de 148 villageois chiites dans les années 1980, après un attentat en 1982 contre le convoi présidentiel dans le village de Doujaïl, au nord de Bagdad.

La plupart des témoins n'ont ainsi rien à dire de concret sur les faits qui sont reprochés aux accusés, et se bornent à louer leurs personnalités.

Ces témoins, comme ceux de l'accusation, s'expriment de manière anonyme, dissimulés derrière un rideau, pour leur propre sécurité. Mais de naïves indiscrétions dans leurs propos ou de la part des accusés, permettent de comprendre qu'il s'agit de parents ou de membres de la même tribu.

"Vous devez rester derrière le rideau", a même du rappeler à deux reprises le juge Raouf à un témoin particulièrement curieux, qui tentait discrètement de sortir sa tête pour observer ce qui se passait dans la salle.

Quand plus tard, ce témoin s'est perdu dans l'évocation de la beauté et de la fertilité des vergers, la principale source de richesse de la région de Doujaïl, détruits en représailles, le juge Raouf l'a vertement repris.

"Nous ne sommes pas ici pour discuter des fruits, mais pour parler des activités de Mizhar Abdallah Roueid (un des accusés) le jour de l'attentat", l'a-t-il tancé.

Reste à savoir cependant si le nouveau ton du juge Raouf sera toujours de mise la semaine prochaine, au moment d'entendre les témoins de Saddam Hussein et de ses proches lieutenants.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.