Jeudi 6 avril 2023 à 21h48
Paris, 6 avr 2023 (AFP) — "Une autre étoile a filé". Au procès à Paris de onze membres du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), jugés notamment pour "financement du terrorisme", le tribunal a tenté jeudi de décrypter le "recrutement" de jeunes combattants kurdes.
La présidente lit un SMS: "je t'en supplie, qu'elle appelle sa famille maintenant, qu'elle dise que c'était sa décision".
Elle lève la tête vers le prévenu à la barre, Abdullah O., Kurde originaire de Turquie installé dans le sud-est de la France, comme tous ses coprévenus.
"On peut difficilement croire que vous ne savez pas ce que vous faites".
Abdullah O., 32 ans, élude. "Je n'ai pas reçu ce SMS", dit-il via son interprète. "Si, si", certifie la présidente Murielle Desheraud, qui depuis le début des interrogatoires fait face à des prévenus qui parlent peu, mais contestent tout.
Ils ne sont pas "membres du PKK" mais d'une "association" kurde, ils n'ont pas collecté l'"impôt révolutionnaire" auprès de la diaspora, et encore moins "recruté" de potentiels jeunes combattants à envoyer au Kurdistan.
Le SMS lu par la présidente concerne la "disparition" d'une jeune femme kurde de 18 ans, à Antibes l'été 2020.
Abdullah O., chemise à carreaux rouge sur le dos, l'air pas l'aise, reconnaît être allé cherché cette jeune femme - et une autre - avec un ami, l'un de ses coprévenus soupçonné d'être un recruteur.
Pour quoi faire, pour aller où ?, demande le tribunal. "Je n'étais au courant de rien", balaie Abdullah O.
Des proches de la jeune femme ont rapporté qu'elle voulait aller combattre au Rojava - le Kurdistan syrien - "endoctrinée" par son cousin.
Ce dernier, brun, mâchoire carrée, est dans le box des prévenus.
La veille, il a reconnu être l'auteur du SMS lu à l'audience, écrit sous la "pression" de la famille. Mais a nié malgré les "preuves" avancées par le tribunal avoir joué un rôle dans son départ.
Pour tenter de le faire réagir, la présidente avait lu une écoute téléphonique du petit ami de la jeune femme.
- "La révolution" -
"Elle va faire sa formation, après elle revient ou elle revient pas. Ils leur gèlent le cerveau", dit le petit ami à un proche.
"Moi si on me fait ça, je prends une kalachnikov, je vais à l'association et je les mitraille tous, tous les cadres", s'excite son interlocuteur.
"Le parti n'est pas une petite chose, tu ne peux rien faire contre le parti", répond le petit ami.
"Je ne savais même pas qu'elle avait un petit ami", avait simplement réagi Ahmet D.
La présidente avait jeté l'éponge.
Avec Abdullah O., elle essaie de parler d'un autre "départ", qu'il avait lui-même évoqué au téléphone, sur écoute.
"Camarades, soyez au courant qu'une autre étoile a filé dans les hauteurs depuis la jeunesse marseillaise. Marié ou pas peu importe, la révolution et la révolution".
Abudllah O. ne relève pas. Adjoint au responsable "jeunesse" du PKK pour la "zone sud-est" selon les enquêteurs, il assure lui qu'il n'est qu'un "jeune Kurde".
Le PKK, engagé depuis 1984 dans une lutte armée pour un Kurdistan indépendant, est l'ennemi juré de la Turquie qui le classe comme organisation "terroriste", à l'instar de l'Union européenne et des Etats-Unis.
Les avocats de la défense contestent vivement la qualification "terroriste" retenue dans ce dossier.
La veille, ils ont demandé à ce que la présidente ordonne aux policiers dans le box de retirer les cagoules qui ne laissaient apparaître que leurs yeux. Une demande rejetée par le tribunal - mais les policiers étaient jeudi à visage découvert.
A la fin de l'interrogatoire d'Abdullah O., son avocat Me Romain Ruiz revient sur les aides aux départ des potentiels combattants.
"Pourquoi vous le faisiez ?", interroge-t-il.
"Pour la cause nationale kurde", répond cette fois le prévenu.
"Vous le voyiez comme une obligation morale ?", relance son avocat.
"Oui".
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.