Mercredi 14 novembre 2007 à 22h06
ERBIL (Irak), 14 nov 2007 (AFP) — Au Kurdistan irakien, la ligne officielle est claire: pas question de déclarer l'indépendance de la région, largement autonome. Mais dans les faits, le fossé avec Bagdad se creuse chaque jour davantage.
Les billets de banque, quand ils ne sont pas remplacés par le dollar, sont le dernier refuge du drapeau irakien.
Partout ailleurs, dans cette région de quatre millions d'habitants épargnée par les violences qui déchirent le reste du pays, c'est le drapeau tricolore kurde (vert, blanc et rouge) qui flotte. Pas un panneau de circulation, pas une enseigne en arabe.
"C'est simple: pour mes étudiants, l'Irak n'existe pas", assure Karim Kamar, professeur de français à l'Université de Salahudine, à Erbil (350 km au nord de Bagdad). "Pour appartenir à un pays, il faut parler sa langue, explique-t-il. Or l'arabe n'est plus enseigné. Ou alors comme langue étrangère, un peu moins que l'anglais".
"Pour eux, l'Irak, ce sont de lointains et mauvais souvenirs, ajoute l'enseignant. Et pour l'homme de la rue, c'est un voisin avec lequel il faut s'entendre, parce qu'il peut devenir méchant. C'est tout. Leur pays, c'est ici."
Dotée, aux termes de la nouvelle Constitution irakienne, d'une très large autonomie, la région kurde d'Irak a un président, un gouvernement et son "Conseil des ministres", des forces armées intégralement kurdes, des relations internationales dont une, privilégiée, avec le puissant parrain américain.
Elle signe, malgré l'opposition de Bagdad, des contrats d'exploration pétrolière avec des compagnies étrangères.
Pour Buhari Hidir, professeur de Sciences politiques à l'université d'Erbil et député au Parlement irakien, "nous ne dépendons de Bagdad que formellement".
"Nous ne sommes pas un Etat dans les textes, mais nous le sommes de facto, estime-t-il. Nous n'avons pas besoin d'une indépendance formelle. Nous l'avons dans la rue, dans la vie. Cela suffit".
"Ce serait même une erreur d'aller vers une vraie indépendance, poursuit le député. Cela nous aliénerait inutilement nos puissants voisins, qui y verraient une incitation à l'égard de leurs propres populations kurdes".
Occupés à préserver et développer une économie qui tourne à plein régime, et pour rassurer les pays riverains et l'Etat central, les officiels multiplient les déclarations apaisantes.
"Nous voulons en rien faire sécession," assure ainsi Falah Bakir, directeur du "Département des relations extérieures" de la région. "Nous voulons rester dans les frontières irakiennes, à condition que l'Irak soit un Etat fédéral, démocratique et pluraliste", dit-il.
Et Fouad Hussein, directeur de cabinet du président de la région, Massoud Barzani, affirme: "nous respectons absolument la Constitution. L'Irak est un Etat fédéral, la répartition des pouvoirs entre Etat central et région est claire. Nous n'exigeons rien de plus. Ce système nous convient parfaitement".
Mais, au-delà des déclarations politiques, le fait concret de ne plus avoir à s'adresser, en kurde, et pour toutes les démarches, qu'à des officiels kurdes fait que l'Etat irakien disparaît progressivement de la vie des habitants de la province.
Pour lancer Ishtar TV, qui émet depuis Erbil à destination des chrétiens d'Irak, "nous avons demandé la licence au gouvernement régional, sourit son directeur, Farid Aqrawi. En principe, il faut la demander à Bagdad... Mais personne ne le fait. Cela ne sert à rien".
L'évêque d'Erbil, Mgr Rabban al-Qas, va plus loin: "Jour après jour, la distance grandit. Nous sommes toujours en Irak, mais la loi nous permet de rêver, un jour, d'un pays qui rassemblerait tous les Kurdes. Comme des frères séparés: vous ne les empêcherez jamais de rêver de vivre un jour sous le même toit".
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.