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Au Kurdistan irakien, Zarathoustra, prophète du retour aux sources


Mercredi 23 octobre 2019 à 09h16

Darbandikhan (Irak), 23 oct 2019 (AFP) — Dans un temple antique en partie en ruines, Faïza Fouad prête serment devant des prêtres. Comme elle, de plus en plus de Kurdes d'Irak se convertissent au zoroastrisme, qu'ils voient comme un retour aux sources pour affirmer leur identité.

Après avoir vu la "férocité" du groupe Etat islamique (EI), qui prône une lecture ultrarigoriste de l'islam, de nombreux musulmans kurdes ont commencé à "questionner leur foi", assure Asrawan Qadrok, plus haut dignitaire zoroastrien du Kurdistan irakien.

"Beaucoup pensent que les valeurs de l'EI vont à l'encontre des valeurs et des traditions kurdes", assure-t-il à l'AFP.

Au-delà de la question des valeurs, dans cette région autonome du nord montagneux, abandonner l'islam sunnite représente aussi une façon d'affirmer sa différence face à Bagdad, dans des provinces qui ont massivement réclamé leur indépendance fin 2017 lors d'un référendum qui a tourné au fiasco.

Car, martèle Asrawan Qadrok, si "le zoroastrisme a été envoyé à toute l'humanité, Zarathoustra est un prophète kurde que les Perses nous ont volé".

Né en Iran il y a environ 3.500 ans, le zoroastrisme a été pendant un millénaire l'une des religions les plus importantes au monde, essaimant jusqu'en Inde. Ce monothéisme a même été la religion officielle de la Perse antique jusqu'à l'assassinat en 650 du dernier roi zoroastrien.

- "En secret" -

Faïza Fouad, 40 ans, s'est convertie au temple de Darbandikhan, dans le nord-est frontalier de l'Iran. Elle a été séduite par cette philosophie "qui rend la vie plus simple".

"Il y est question de sagesse et de philosophie pour servir l'humanité et la nature", affirme-t-elle à l'AFP, tout juste sortie de la cérémonie au cours de laquelle des prêtres ont noué trois fois autour de sa poitrine un tissu blanc, symbole de pureté, en récitant des passages de l'Avesta, le recueil de textes religieux zoroastriens.

Ces noeuds représentent "bonnes paroles, bonnes pensées et bonnes actions", les principes fondateurs du zoroastrisme qui compte environ 200.000 fidèles dans le monde, principalement en Inde et en Iran.

"Je me sens comme rafraîchie", lance Faïza Fouad, entourée de proches qui contemplent son Faravahar, le symbole ailé de sa nouvelle religion qu'on vient de lui passer autour du cou.

Sous Saddam Hussein, dictateur renversé en 2003 par l'invasion emmenée par les Etats-Unis, ce genre de symboles ne pouvaient être arborés hors du foyer, se rappelle Awat Tayib, représentante des zoroastriens au ministère des Affaires religieuses du gouvernement autonome du Kurdistan.

Unique femme occupant un tel poste, Mme Tayib a vu son père "pratiquer en secret, pour que ni l'Etat, ni ses voisins ni même ses proches ne le sachent".

Au Kurdistan, autonome depuis 1991, le zoroastrisme n'est entré qu'en 2015 sur la liste des confessions officiellement reconnues et protégées par les autorités locales. Depuis, trois temples ont été ouverts, sans fonds publics.

- "Pour se protéger" -

Si la tolérance a gagné du terrain plusieurs défis perdurent, tempère Mme Tayib : "nous n'avons toujours pas de cimetière zoroastrien".

Pour autant, affirme Asrawan Qadrok, le nombre de zoroastriens --il n'existe aucun chiffre officiel-- va continuer à augmenter, dans une région qui a subi en 2014 la déferlante jihadiste, un possible génocide contre une autre minorité, les Yazidis, et combattu pour repousser les hommes du "califat" autoproclamé jusqu'en 2017.

Qu'ils soient musulmans ou zoroastriens, les Kurdes se retrouvent selon lui sur un point : la protection et l'unité de leur peuple, même au-delà des frontières.

Un vendredi de mi-octobre, jour de grande prière hebdomadaire musulmane, Asrawan Qadrok a assisté à l'office présidé par le cheikh Mollah Saman pour condamner avec lui l'offensive lancée le 9 octobre par Ankara contre les Kurdes en Syrie.

"Les zoroastriens sont nos frères, pas nos ennemis. Nos ennemis sont ceux qui nous tuent, comme le président turc Recep Tayyip Erdogan", a lancé le cheikh musulman à l'arrivée de la délégation zoroastrienne.

Car les Kurdes, peuple sans Etat en quête de reconnaissance, disent vivre dans la menace permanente, en Turquie, en Irak, en Syrie et en Iran.

Pour Azad Saïd Mohammed, qui dirige l'organisation de prosélytisme zoroastrien Yasna, sa foi et son "prophète kurde" sont la solution.

"Les Kurdes ont besoin de leur propre religion comme d'autres nations du Moyen-Orient pour se protéger des agressions et des invasions", assure-t-il.

"Il faut faire renaître notre religion ancestrale pour revivifier notre identité et construire notre nation."

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.