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Au Kurdistan irakien, un site archéologique "exceptionnel" soudain déserté


Jeudi 5 octobre 2017 à 10h33

Ranya (Irak), 5 oct 2017 (AFP) — Il zigzague entre les buissons secs, puis s'arrête au bord d'un trou. Deux mètres plus bas, des murs de briques de calcaire délimitent ce qui pourrait être un temple deux fois millénaire.

"C'est dans cette pièce que nous avons retrouvé (une statue) d'Alexandre" le Grand, s'exclame Ismaël Nuraddini, 62 ans, en désignant le sol d'un geste de la main.

La trouvaille est extraordinaire, mais le site, où se faisait entendre il y a une semaine encore le bruit des pelles et des pioches, est aujourd'hui habité par le silence des pierres.

A la suite du référendum d'indépendance tenu au Kurdistan le 25 septembre, le gouvernement central de Bagdad a suspendu les vols internationaux vers et depuis la région autonome.

De peur de se retrouver coincés, beaucoup d'archéologues étrangers ont subitement quitté le pays.

"C'est la première fois que des chercheurs étrangers doivent partir. Même à l'approche de Daech (acronyme arabe du groupe Etat islamique), ils étaient restés!" s'exclame Rzgar Qader Boskiny, étudiant en archéologie de 21 ans et membre d'une équipe de fouille sur un site voisin.

Cet imprévu politique est arrivé au moment où les équipes commençaient à peine à percer les secrets de cette région montagneuse frontalière de l'Iran.

En attendant leur retour, Ismaël Nuraddini, moustache cendrée et chemise bleue nuit, est chargé de garder les sites de sa ville natale, Ranya, dans la région kurde irakienne, où une quinzaine d'archéologues s'activaient encore il y a peu.

Autodidacte, c'est lui qui en 2013 a découvert le site de Qalatga Darband, une cité antique de 60 hectares qui aurait pu être fondée il y a 2.300 ans par le grand conquérant.

- Mésopotamie, Perse, Grèce antique -

"Au printemps, deux sculptures ont été trouvées. Un homme et une femme. L'une ressemble à Aphrodite, la déesse de la beauté. L'autre pourrait être Alexandre le Grand," explique M. Nuraddini.

Une trouvaille qui le rend songeur, même si l'on soupçonnait déjà la présence du conquérant en Irak.

Trois siècles av. J.-C., ce qui est aujourd'hui la ville irakienne de Zakho, à la frontière avec la Turquie, aurait été le terrain d'un des plus importantes batailles de l'Antiquité entre l'armée du royaume de Macédoine et celle de Darius III, qui avait été défaite.

Il faudra encore plusieurs années au British Museum, en charge des fouilles, pour confirmer, ou infirmer, la paternité d'Alexandre sur cette cité d'Asie mineure.

Mais le site, placé sur une terrasse naturelle donnant sur un lac, est déjà, quoi qu'il arrive, une découverte "exceptionnelle", selon les archéologues qui y ont travaillé.

"Il s'agit d'une ville stratégique, peut-être même une capitale provinciale, qui contrôlait les routes reliant différents mondes: la Mésopotamie, la Perse et la Grèce antique", explique Jessica Giraud, directrice de la mission archéologique française dans la région.

Guidée par Ismaël Nuraddini en 2013, la chercheuse va rapidement se rendre compte de l'importance du site, dont les murs d'enceinte filent de la rive jusqu'à la montagne avoisinante, au-dessus de laquelle d'autres vestiges ont également été trouvés.

- Images de la CIA -

Des travaux de prospections grandement facilités par des images prises par des satellites espions de la CIA, qui, en pleine guerre froide, scrutait cette zone tampon.

Une image de Qalatga Darband prise en février 1967 par la CIA, et obtenue par l'AFP, montre les traces de murs d'enceinte, des anciennes routes, ainsi que ce qui a été interprété comme étant un fort et un temple.

Des images classifiées qui, depuis qu'elles sont entrées dans le domaine publique, sont devenues un outil privilégié des archéologues.

"Maintenant, on utilise ces images pour toutes nos missions. Grace à elles, on a multiplié par cinq la vitesse de nos travaux de prospection, et par six la découverte de sites archéologiques", s'enthousiasme Jessica Giraud.

La mission de cartographie menée conjointement par la France et l'Irak a ainsi pu dénombrer 354 sites archéologiques uniquement dans la région de Ranya, Peshdar et Bingird.

Une densité de peuplement qui s'explique par au moins quatre raisons, selon Barzan Baiz Ismael, directeur du service des Antiquités.

"D'abord, il y a de nombreuses caves que les premiers hommes pouvaient utiliser comme abris. Un autre facteur est la fertilité des terres, ainsi que la présence d'eau, source de la vie. Et puis surtout, c'était la frontière entre Est et Ouest", analyse-t-il.

La mission du British Museum, entamée à l'automne 2016, devrait s'achever en 2020, et, peut-être, apporter des réponses sur l'histoire de ce carrefour des civilisations.

Mais, pour l'heure, sur le site de Qalatga Darband, Ismael Nuraddini et Rzgar Qader Boskiny sont seuls avec des pelles abandonnées et un pêcheur qui boit le thé à l'ombre de son pick-up.

"Si cette suspension (des vols internationaux) dure, j'ai peur cela affecte négativement notre travail", s"inquiète Rzgar.

"Quand les équipes reviendront, l'âge d'or de l'archéologie pourra recommencer," ajoute-t-il avec un sourire.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.