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Au Kurdistan irakien, le bodybuilding pour l'égalité des sexes


Lundi 8 mai 2023 à 04h30

Erbil (Irak), 8 mai 2023 (AFP) — Enfant, Shylan Kamal aimait pétrir le pain car elle sentait ses muscles travailler. Devenue l'une des rares femmes d'Irak à pratiquer le bodybuilding, cette quadragénaire kurde estime que sa passion permet aussi de lutter pour l'égalité des sexes.

"Avoir des muscles, c'est bien pour les femmes. Nous voulons que notre beauté s'exprime par notre musculation", confie la coach de 46 ans, dans une salle de sport ultra-moderne d'Erbil (nord), où elle s'entraîne quatre heures par jour au culturisme.

Depuis trois ans, cette nutritionniste de formation et ancienne photographe a quitté l'Allemagne où elle vivait pour s'installer dans la capitale du Kurdistan autonome, dans le nord de l'Irak. Elle y a retrouvé une société conservatrice et patriarcale, où sa passion pour le culturisme féminin provoque de nombreux haussements de sourcil.

"Je me fiche du +qu'en dira-t-on+, car j'ai mes convictions", assume la sportive, rejetant les canons de beauté traditionnels imposés aux femmes.

"Je déteste que les gens considèrent la femme comme un être inférieur, un symbole sexuel, qu'elle doive s'occuper de ses enfants et se faire belle pour son mari", enchaîne-t-elle. "Pourquoi les femmes ne pourraient-elles pas allier beauté et force?"

Après s'être échauffée sur le vélo elliptique, sa chevelure tombant en cascade sur ses épaules puissantes, la bodybuildeuse alterne entre appareils de musculation, soulèvement d'haltères et pompes au sol.

- "Exhiber leurs muscles" -

Shylan s'entraîne depuis l'âge de 22 ans. Sur son compte Instagram, elle pose en bikini pour exhiber sa musculature et brandit parfois le drapeau du Kurdistan autonome à l'occasion de compétitions de culturisme en Europe.

Ces derniers mois, lors de trois événements en Grande-Bretagne et en Allemagne, elle a raflé à chaque fois la troisième place. Comme à Cologne, dans l'ouest de l'Allemagne, mi-avril.

En Irak, "malheureusement, les gens n'ont pas l'habitude de voir les femmes en maillot de bain exhiber leurs muscles", reconnaît-elle, attristée également par les préjugés et la surprise avec laquelle on l'accueille quand, durant les compétitions à l'étranger, on découvre qu'elle vient d'Irak.

Originaire de Souleimaniyah (nord-est), deuxième ville du Kurdistan, Shylan a 14 ans quand elle émigre avec son oncle en Allemagne, où elle étudie puis devient photographe dans un studio photo à Düsseldorf, dans l'ouest du pays.

A 16 ans, elle épouse un compatriote avec qui elle a trois enfants, aujourd'hui âgés d'une vingtaine d'années.

"Petite déjà, je bougeais beaucoup, j'étais pleine d'énergie et je voulais libérer cette énergie", se souvient-elle. "Quand j'aidais ma mère à pétrir la pâte à pain, je sentais mes muscles se développer et ça me rendait heureuse."

- "Briser les obstacles" -

Dans l'Irak encore conservateur, le sport féminin se développe doucement. De nombreuses équipes féminines ont vu le jour ces dernières années, que ce soit pour le football, la boxe, l'haltérophilie ou le kickboxing.

Relativement épargné par les conflits ayant ravagé l'Irak, le Kurdistan a pris une longueur d'avance dans le domaine des sports, la région autonome misant très tôt sur ces disciplines via le développement des infrastructures et des subventions.

Ranjbar Ali, 45 ans, s'entraîne au même endroit que Shylan. Il se dit "heureux" de voir plus de femmes fréquenter les salles de sport et tant mieux si certaines "comme Shylan brisent les obstacles et les idées préconçues".

Lui aussi plaide pour l'égalité des sexes. "Si des gens estiment qu'il est honteux pour la femme d'exhiber son corps et ses muscles, alors ça devrait l'être également pour les hommes", avance-t-il, son débardeur de sport noir révélant ses biceps saillants.

Le conseil de Shylan "aux femmes du monde et, en particulier, aux Kurdes?" S'entraîner.

"C'est une discipline physiquement exigeante, qui requiert de la concentration, une alimentation saine", affirme-t-elle. Mais grâce à elle, les femmes "seront en meilleure santé, psychologiquement aussi."

"Je suis sûre que fréquenter les salles de sport est plus bénéfique que d'aller dans les salons de beauté."

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.