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Au Kurdistan irakien, excision et violences domestiques résistent aux lois


Dimanche 17 juin 2012 à 06h18

ERBIL, 17 juin 2012 (AFP) — En juin 2011, le Kurdistan irakien votait une loi révolutionnaire criminalisant l'excision et les violences domestiques: un an plus tard, les militants des droits des femmes sont exaspérés par les ratés de sa mise en application.

Dans cette région très conservatrice, le texte avait été salué par les ONG comme une avancée majeure, obtenue au bout de plusieurs années de lutte.

La loi sanctionne les violences physiques, sexuelles et psychologiques commises dans le cadre familial, protège les victimes et prévoit la création de tribunaux spécialisés. Elle punit de peines de prison et d'amendes la promotion et la pratique de mutilations génitales féminines.

Le Kurdistan, bien que faisant partie de l'Irak, est largement autonome (il dispose de ses propres institutions politiques et de son armée) et bénéficie d'une situation sécuritaire et économique bien meilleure que celle du reste du pays.

Les mutilations sexuelles sont l'un des principaux problèmes: bien que souvent considérées comme une "maladie africaine", elles sont très répandues au Kurdistan, souligne l'ONG allemande Wadi dans une étude publiée en 2010 sur la base d'entretiens avec près de 1.700 femmes vivant dans la région.

Selon ses conclusions, 72,7% des femmes (hors province de Dohouk) en avaient subi, avec des taux atteignant "quasiment 100% dans certaines zones". Plus de la moitié (51,1%) d'entre elles étaient analphabètes, souligne l'ONG qui note un "lien manifeste" entre ces phénomènes.

Sujets hautement tabous

L'adoption de la loi prohibant ces violences fut donc "une grande victoire", résume Suzan Aref, directrice de l'ONG Women Empowerment Organization. "Au moins à présent, on parle" de ces sujets hautement tabous dans la société irakienne, souligne-t-elle.

Pakhshan Zangana, secrétaire générale du Haut Conseil pour les Affaires des Femmes, un organisme rattaché au gouvernement kurde, est du même avis: "La société a reconnu que les violences domestiques sont des crimes. C'est très important. Dans d'autres sociétés, c'est considéré comme un droit de la famille".

Mais toutes deux s'accordent à dire que la partie ne sera pas gagnée tant que la loi ne sera pas appliquée.

"C'est un gros problème", soupire Mme Aref. "On ne peut pas dire que le nombre (de mutilations sexuelles) recule grâce à la loi car personne ne la connaît", dit-elle, déplorant le manque de suivi par les autorités et appelant à une "campagne" pour la populariser.

La police montre peu d'empressement à enquêter sur les violences et les "suicides" de femmes, et qui sont en réalité "pour la plupart des crimes d'honneur", dit-elle. Nombre de femmes, constatant que la loi n'a rien changé, "perdent espoir", déplore-t-elle.

Ramziya Zana, directrice d'une autre ONG d'Erbil, le Gender Studies and Information Center Organization, est plus directe: "Cela fait un an que la loi est passée, elle n'est toujours pas appliquée. C'est un désastre. Il faut donc soit la renvoyer au Parlement, soit l'appliquer", dit-elle.

Nombre de magistrats et de religieux font obstacle. "La plupart des juges pensent qu'elle est nuisible à la famille" et ceux qui l'appliquent se comptent "sur les doigts d'une main", explique-t-elle. Quant aux religieux, "rien dans la loi ne leur plaît" et beaucoup voudraient l'amender.

Mme Zangana admet l'existence de ces difficultés, notamment pour la création des tribunaux spécialisés, mais compte beaucoup sur un plan d'application actuellement en cours d'élaboration avec l'aide des Nations Unies.

Elle plaide pour la patience: "C'est nouveau pour une société comme la nôtre, avec une culture traditionnelle. (Le progrès) ne peut pas se mesurer en mois".

Elle juge aussi "très dangereux" un nouveau vote dans le contexte actuel de poussée de l'islamisme dans le monde arabe. "Nous ne vivons pas dans une île à part et la première chose que font les islamistes et les conservateurs, c'est attaquer les droits des femmes", souligne-t-elle".

Mme Aref se dit elle aussi optimiste sur la tendance de fond, mais regrette qu'on ne s'attaque pas aux racines du problème. "Il y a quelque chose qui mène aux crimes d'honneur, aux suicides, comme le mariage forcé ou prématuré, l'analphabétisme..."

Sur tous ces sujets, les études manquent, déplore-t-elle: "Vous pouvez voir combien la société est incapable d'accepter (de parler) des problèmes des femmes".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.