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Au Kurdistan d'Irak, on pleure une victime du naufrage de la Manche


Mercredi 1 decembre 2021 à 06h17

Soran (Irak), 1 déc 2021 (AFP) — "Elle voulait une vie meilleure": au Kurdistan d'Irak, des centaines de proches de Maryam Nuri Hama Amin se sont rassemblés à son domicile pour présenter leurs condoléances après avoir appris la nouvelle de son décès lors du naufrage dans la Manche.

"Je ne savais pas qu'elle allait partir clandestinement", lâche son père septuagénaire, Nouri Hama Amin, qui reçoit les visiteurs devant leur maison à Soran, à 130 kilomètres de la capitale régionale Erbil.

Des dizaines d'hommes, souvent vêtus de l'habit kurde traditionnel au pantalon bouffant, s'assoient en silence sur des chaises en plastique après avoir dit une prière à leur arrivée. Comme le veut la tradition, on leur sert uniquement de l'eau.

Sous une tente, des femmes accueillent les visiteuses, certaines assises à même le sol sur un grand tapis. La mère de la victime, effondrée, refuse de parler aux médias.

Agée d'une vingtaine d'années seulement, Maryam, "Baran" pour les intimes, c'est-à-dire "pluie" en kurde, serait une des victimes du naufrage mercredi dans la Manche.

Avec 27 morts, c'est le drame migratoire le plus meurtrier dans le secteur, depuis la hausse en 2018 des traversées de la Manche.

La jeune fille, qui avait quitté l'école après le collège, espérait rejoindre son fiancé, Karzan, installé en Grande-Bretagne.

Celui-ci était au téléphone avec elle au moment du drame. C'est lui qui a appelé la famille pour leur apprendre la triste nouvelle, assure à l'AFP le cousin de Baran, Kafan Omar.

Peu avant qu'elle embarque, "je lui ai parlé, elle était très heureuse, elle était détendue", raconte le père. "Elle était dans un hôtel en France, on a parlé jusqu'à huit heures du matin".

Après le naufrage, les cadavres ont été repêchés et transférés dans une morgue en France. Officiellement, rien n'a filtré sur leurs identités et nationalités.

La chambre de la jeune fille est bien rangée comme si elle venait à peine de la quitter. Au-dessus du lit, deux photos des amoureux durant leurs fiançailles.

Devant la pièce montée, la jeune femme apparaît vêtue d'un kaftan traditionnel décoré de broderies, avec une tiare sur sa coiffure élaborée.

- "Ne pas émigrer" -

Sur son lit dans la chambre, posés sur un édredon turquoise, un bouquet de roses blanches et un ballon "Happy birthday Baran".

"Nous n'avons aucune information sur les passeurs. Leurs promesses se sont avérées être des mensonges", déplore le père.

"Elle voulait une vie meilleure en Grande-Bretagne. Malheureusement, elle a fini dans la mer".

Le cousin Kafan Omar explique que la jeune fille était partie depuis près d'un mois. "Elle a obtenu un visa de travail et s'est rendue en Italie, puis la France", ajoute-t-il.

"Avant, nous avions essayé à maintes reprises de l'envoyer en Grande-Bretagne pour qu'elle rejoigne son fiancé, sans succès", ajoute-t-il.

"J'appelle les jeunes à ne pas émigrer et à supporter les difficultés ici, plutôt que de sacrifier leur vie pour arriver en Europe", plaide Nouri Hamo Amin.

Depuis l'été, des milliers de personnes, dont de nombreux Kurdes irakiens, sont bloquées à la frontière entre le Bélarus et la Pologne.

Pour partir, ils se sont très souvent endettés et ont dépensé toutes leurs économies. Ils veulent rallier l'Europe occidentale où ils espèrent pouvoir bénéficier de l'Etat providence.

Kermaj Ezzat, un proche de la famille, comprend ces jeunes qui partent notamment à cause de "l'instabilité" de la région et fustige la politique des Européens.

"Ces pays ont fermé leurs frontières devant les jeunes qui rêvent d'un avenir meilleur".

A Londres, quelque 150 personnes ont manifesté samedi devant Downing Street pour condamner la politique d'asile de la Grande-Bretagne. Interpellant le ministre de l'Intérieur, une pancarte demande: "Priti Patel, comment dors-tu la nuit?"

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.