Jeudi 6 octobre 2022 à 04h31
Souleimaniyeh (Irak), 6 oct 2022 (AFP) — Les manifestations font rage aux quatre coins de l'Iran mais c'est au Kurdistan d'Irak que Téhéran a bombardé, ciblant l'opposition kurde iranienne, exilée depuis des décennies et qui lutte contre la marginalisation et les discriminations dont souffre la minorité.
Installées en Irak depuis les années 1980 --souvent avec la bénédiction de Saddam Hussein alors en pleine guerre avec le voisin iranien-- ces factions armées sont qualifiées de "terroristes" par la République islamique, qui les accuse d'attaques sur son territoire.
Un général à Téhéran a même dénoncé l'implication de ces groupes d'opposition dans les "émeutes", la massive contestation populaire qui secoue l'Iran depuis la mi-septembre et la mort de Mahsa Amini, jeune femme kurde arrêtée par la police des moeurs.
Il fallait "trouver un ennemi", résume Adel Bakawan, directeur du Centre français de recherche sur l'Irak (Cfri). "Le maillon faible qui peut être frappé sans retenue et sans aucune conséquence, ce sont les Kurdes" iraniens.
D'où le déluge de feu qui s'est abattu le 28 septembre sur la région autonome du Kurdistan d'Irak, dans le nord. Les bombardements ont visé les positions de ces mouvements, faisant 14 morts et 58 blessés, dont des civils.
Le porte-parole de la diplomatie iranienne, Nasser Kanani, réitérait lundi les accusations de Téhéran contre ces "groupes armés, séparatistes et terroristes" qui "menacent la sécurité nationale" de son pays.
Après avoir longtemps mené une insurrection armée, ces groupes, très à gauche politiquement, ont quasiment interrompu leurs activités militaires, selon des experts.
S'ils disposent toujours de combattants, s'apparentant à des "réservistes" s'entraînant au maniement des armes, ils se concentrent sur l'action politique.
- "Langue interdite" -
Depuis les années 1990, une "entente" entre ces factions et le gouvernement du Kurdistan irakien protège leur présence "en échange de quoi elles n'engagent pas d'activités militaires, pour éviter toute gêne dans les relations avec l'Iran", explique le journaliste Kurde Iranien Raza Manochari.
Lui-même vit en Irak depuis huit ans, illustrant les liens historiques entre Kurdistan irakien et Kurdistan d'Iran (nord-ouest). Des deux côtés de la frontière on parle le même dialecte sorani et nombreux sont ceux qui comptent des parents dans les deux pays.
Massoud Barzani, architecte du Kurdistan irakien, est même né dans le premier "Etat kurde" apparu en Iran en 1946. Son père avait rallié pour la soutenir l'éphémère République de Mahabad. Elle durera un an, avant d'être écrasée par les troupes iraniennes.
Aujourd'hui cette minorité iranienne -- environ 10 millions sur une population de 83 millions -- souffre toujours de marginalisation, disent des experts.
"En Iran, les Kurdes sont privés de nombreux droits politiques et culturels fondamentaux", résume Shivan Fazil, chercheur au Stockholm International Peace Research Institute.
"Le droit à l'éducation dans leur langue maternelle continue d'être interdit par la loi", souligne-t-il.
Le tableau est encore plus sombre, comparé à la situation des Kurdes ailleurs, estime M. Fazil: l'entrée au Parlement en Turquie depuis 2015, l'autonomie de facto dans le nord-est de la Syrie, et un gouvernement régional autonome dans le nord de l'Irak.
- "Citoyens de seconde zone" -
Bombardé par Téhéran le 28 septembre, le Parti démocratique du Kurdistan d'Iran "n'a jamais utilisé le territoire irakien" pour attaquer les forces iraniennes, assure Aso Saleh, membre du comité exécutif à l'étranger du PDKI.
Le mouvement est "principalement présent" au Kurdistan d'Iran avec des activités qui doivent rester "secrètes". L'Irak accueille "la direction et l'appareil bureaucratique" du groupe, ajoute le responsable installé en Suède.
Plus ancien parti kurde d'Iran fondé en 1945, le PDKI oeuvre pour "la démocratie et le fédéralisme en Iran", plaide-t-il. "Le Kurdistan iranien a toujours été à l'avant-garde de la lutte pour la démocratie et la liberté."
"Nous n'avons pas d'activités militaires", assène depuis le Kurdistan d'Irak Edris Abdi, un responsable du "Parti Komala du Kurdistan d'Iran".
Il résume la raison d'être de cette opposition nationaliste kurde iranienne: "les Kurdes sont des citoyens de seconde zone".
Chercheur à l'Université de Souleimaniyeh, Hardi Mahdi Mika évoque aussi la marginalisation de la minorité.
"En termes de croissance économique et de chômage, les régions kurdes sont les plus pauvres", ajoute le politologue, estimant notamment que "le gouvernement néglige ces régions".
Des travailleurs journaliers traversent quotidiennement la frontière, pour trouver en Irak un emploi temporaire mieux payé que dans leur pays, frappé par une crise économique aggravée par les sanctions américaines.
Et même dans les provinces iraniennes où ils sont majoritaires, "les Kurdes ne participent pas à la gouvernance locale" indique M. Mika.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.