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A Diyarbakir, les Kurdes de Turquie dans l'attente du message d'"Apo" Öcalan


Vendredi 14 février 2025 à 05h02

Diyarbakir (Turquie), 14 fév 2025 (AFP) — Son tabac à rouler entre les doigts, Suleyman Ilcan avoue son impatience dans l'attente d'un message du chef kurde Abdullah Öcalan qui, espère-t-il sans y croire vraiment, apportera la paix en Turquie après des décennies de guérilla.

"Nous avons tous hâte d'entendre le message d'Apo ("oncle", le surnom de M. Öcalan en kurde): pas d'une oreille mais des deux! Mais sans beaucoup d'espoir ", confie à l'AFP cet ouvrier en bâtiment de 35 ans à la barbe rousse, calé contre le poêle à bois d'un café de Diyarbakir, la grande ville du sud-est à majorité kurde.

"C'est vrai, le processus est resté gelé depuis longtemps, il arrive même un peu tard", ajoute-t-il en tirant sur sa cigarette. Mais "nous souhaitons la paix, pas la guerre".

Le chef historique du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) Abdullah Öcalan, en détention depuis le 15 février 1999, doit lancer "un appel historique" en faveur d'une solution démocratique à la "question kurde" .

La date anniversaire du 15 février avait été initialement envisagée pour ce qui pourrait être un appel à déposer les armes.

Le processus a été initié par le camp du président turc Recep Tayyip Erdogan, dont le principal allié, le nationaliste Devlet Bahceli, a tendu la main à M. Öcalan, condamné à la prison à vie et emprisonné sur l'île d'Imrali, au large d'Istanbul.

La Turquie a déjà connu de précédents espoirs de paix. Mais la dernière trêve, en 2015, avait volé en éclats pour déboucher sur une explosion de violences, en particulier dans le sud-est du pays.

Cette fois, M. Bahceli a appelé en octobre le patron du PKK à renoncer à la violence et à dissoudre son groupe armé, interdit et classé par Ankara comme "terroriste".

Le gouvernement a autorisé des parlementaires du parti prokurde DEM à rendre visite au célèbre détenu, dont les combattants sont retranchés depuis plus d'une décennie dans les montagnes d'Irak.

Cette même délégation poursuit ses navettes et se rendra dimanche dans le nord de l'Irak pour y rencontrer des responsables kurdes irakiens.

- "Une joie amère"-

"Aucune guerre ne peut durer éternellement", déclare à l'AFP Abbas Sahin, co-président du DEM à Diyarbakir. "S'obstiner à ne pas trouver de solution ne profite à personne. La pire paix vaut mieux que la guerre".

Si la date du fameux message de M. Öcalan est encore indécise, les responsables politiques kurdes la jugent imminente et assurent qu'il parviendra avant Norouz, le Nouvel An kurde en mars.

Pour Zeki Celik, qui dirige un atelier d'argenterie, les messages de M. Öcalan "sont toujours accueillis avec enthousiasme" à Diyarbakir. "Mais c'est une joie amère".

"Des maires élus (du DEM) sont destitués, la police effectue des descentes, des journalistes sont arrêtés. La méfiance règne, tout ça n'est pas très crédible", relève ce sexagénaire.

Huit maires DEM élus en mars dernier ont été démis de leurs fonctions et remplacés par des administrateurs nommés par le gouvernement.

La coprésidente du DEM à Diyarbakir, Gulsen Ozer, reconnaît que les traumatismes passés n'incitent pas à la confiance et qu'il faudra du temps pour les surmonter.

"Ce sont les gens qui ont perdu leurs fils qui souhaitent le plus la paix, ils ne veulent pas que d'autres connaissent la même douleur" affirme-t-elle.

Sedat Yurtdas, du Centre de recherche du Tigre, basé à Diyarbakir, remarque que cette fois est différente des initiatives passées parce qu'elle vient du chef d'un parti nationaliste.

- "Moment historique" -

Pour l'analyste, l'État a pris la mesure des changements au Moyen-Orient depuis les attaques du Hamas palestinien le 7 octobre 2023 contre Israël.

Le gouvernement Erdogan suit un mouvement qui a balayé Bachar al-Assad en Syrie et placé l'Iran sur la touche. "Nous sommes à la veille d'un moment historique", croit l'expert. "L'État voit qu'il faut une solution durable à la question kurde".

Mais assis dans un café, un homme aux cheveux gris prévient qu'il n'oublie pas qu'en 2007, le nationaliste Devlet Bahceli avait lancé une corde depuis un podium et appelé le gouvernement Erdogan à pendre le chef du PKK.

"Qu'est ce qui a changé depuis?", demande-t-il en refusant d'être nommé. "Je n'ai pas une once d'espoir. Nous, les Kurdes, avons toujours été trahis par les politiques".

Mais l'analyste insiste: malgré le climat actuel, la communauté kurde, traumatisée par des décennies de violence, "a soif de paix".

Le restaurateur Mustafa Kemal Sana, 52 ans, fait valoir les pertes subies - au moins 40.000 morts - par les deux côtés, Kurdes et Turcs, depuis que le PKK a lancé la lutte armée en 1984: "Je ne veux pas que des policiers, des soldats ou des combattants (du PKK) meurent. Les policiers sont de pauvres fils de l'Anatolie. Ce sont nos fils et nos frères. Ce bain de sang doit cesser".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.