Jeudi 13 février 2025 à 05h02
Calais, 13 fév 2025 (AFP) — Pâte à modeler, maracas et ballon de foot: sur le littoral du nord de la France, des associations défendent le droit des enfants migrants à jouer et à rester ainsi des enfants, malgré les drames qu'ils subissent au quotidien.
"Parfois, quand nous essayons (de traverser la Manche, NDLR), je sens que je dois me comporter en adulte et à d'autres moments, je suis une enfant, j'ai 13 ans", résume Yanni. Derrière sa bouille ronde et ses yeux pétillants, cette adolescente kurde irakienne a déjà vécu bien des épreuves.
Depuis qu'elle a atteint le nord de la France, sa famille a déjà tenté à sept reprises de traverser la Manche vers l'Angleterre. Ces nuits-là, "je dois attendre dans le froid, aider mes soeurs à se préparer", raconte Yanni.
Dans la cour de la maison Sésame à Herzeele (Nord), lieu de répit où des exilés particulièrement vulnérables peuvent venir souffler quelque temps, Yanni joue avec des bénévoles de l'ONG Youth Kaleidoscope à mimer des émotions, riant comme une fille de son âge.
À l'intérieur de la maison, les plus jeunes enfants, dont une fillette tenant à peine sur ses jambes, peignent des gobelets pour les transformer en maracas avec des bénévoles d'une autre ONG, Project Play.
Ces activités ludiques sont précieuses et permettent aux enfants d'oublier pendant un moment les difficultés auxquelles ils font face, souligne Khelan, la mère de Yanni. La situation dans leur pays d'origine faisait déjà grandir trop vite ses enfants, qui entendent beaucoup de choses qu'ils ne devraient pas entendre, constate cette femme de 33 ans.
Quand d'autres associations s'activent sur le littoral pour fournir nourriture, eau potable ou bois de chauffage aux exilés, Project Play défend le droit à jouer, reconnu par la Convention internationale des droits de l'enfant. Youth Kaleidoscope s'occupe des adolescents, parfois des mineurs non accompagnés.
- Casques antibruit -
"Jouer est très important pour accompagner le développement des enfants", et "particulièrement" pour ceux "qui subissent des traumatismes", souligne Lily McTaggart, l'une des coordinatrices de Project Play.
Dans le hangar de l'association l'Auberge des migrants à Calais, cette Britannique prépare un atelier ludique en peignant des notes de musique sur des assiettes en carton. Au mur, des étagères couvertes de boîtes de perles, jeux de société, peluches.
Project Play organise aussi des temps de jeu à l'accueil de jour du Secours catholique à Calais et sur les campements. Sur ces sites régulièrement démantelés par la police et parfois soumis à des violences entre migrants, aménager un espace au calme relève du défi.
"Parce qu'ils sont exposés à des événements traumatisants, certains enfants vont jouer de manière agressive", explique Lily McTaggart, institutrice de formation. "Nous leur fournissons alors l'occasion de faire des jeux plus destructeurs: renverser, déchirer, jeter des objets".
Malaxer de la pâte à modeler et peindre peuvent également les aider à réguler leurs émotions. Des casques antibruit sont aussi parfois utilisés pour les isoler d'un environnement trop stressant.
Quand le traumatisme d'un enfant est visiblement trop important, les bénévoles l'orientent vers la Croix-Rouge ou Médecins sans frontières, tout en sachant qu'un vrai suivi psychologique sera impossible tant que l'enfant sera en transit.
"Une enfant de huit ans a rejoué la scène de sa quasi-noyade devant nous", confie Lily McTaggart.
Stimuler l'estime de soi des enfants, par exemple en leur donnant un rôle moteur dans l'organisation des activités, fait également partie des objectifs.
Et beaucoup d'enfants migrants confient que l'école leur manque, rapportent les bénévoles. Sans pouvoir garantir leur droit à l'éducation, Project Play a par exemple déjà organisé une session sur l'Égypte antique, pour un enfant passionné par ce sujet.
Soutenue notamment par des fondations britanniques et des financements participatifs, l'ONG s'est occupée de 990 enfants migrants en 2024, pendant une durée moyenne de 3,7 semaines.
Au moins 77 candidats à l'exil sont morts l'an dernier en tentant la traversée vers l'Angleterre par la mer, un chiffre record, selon les autorités françaises. Il y avait au moins neuf enfants parmi les victimes, selon l'association Utopia 56.
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.