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A Alep, les tensions communautaires couvent


Lundi 29 octobre 2012 à 11h47

ALEP (Syrie), 29 oct 2012 (AFP) — Le combattant kurde de l'Armée syrienne libre tue l'ennui en jouant avec sa Kalachnikov: quand un de ses camarades sunnites se met à hurler "Allah Akbar" (Dieu est grand) en écho à une rafale d'explosions venue du front à Alep, il hausse les épaules avec lassitude.

"Du calme, du calme, il ne t'entend pas", lui lance-t-il, assis dans une rue du quartier de Boustane al-Bacha, dans le nord de la ville, où il contrôle l'identité des civils traversant le front qui divise Alep, secouée par des combats depuis plus de trois mois.

De l'endroit où il se trouve, il peut voir le barrage tenu par les membres d'une milice kurde -qui contrôlent certains secteurs de la métropole du nord du pays- conspués par la plupart de ses camarades de l'ASL, principale force d'opposition armée, très majoritairement arabe et sunnite.

Mais si ce combattant kurde et ses camarades sunnites affirment être frères d'armes dans leur combat contre le président syrien Bachar al-Assad, ils divergent quant à ce que sera la nouvelle Syrie.

"Il faut un gouvernement islamiste" estime Moutassim, 20 ans, la barbe clairsemée et les cheveux couverts d'une calotte de prière en crochet, avant de lancer un sonore "Allah Akbar".

Son camarade kurde, qui souhaite rester anonyme, a choisi le camp de l'ASL mais pas pour devenir un "moujahid". Il rejette avec véhémence l'idée d'un gouvernement islamiste, réclamant "un gouvernement pour tout le monde".

Vendredi, des heurts ont éclaté non loin de là entre l'ASL et des miliciens kurdes, qui ont fait 30 morts selon une ONG.

Ces combats dans le quartier d'Achrafiyé (nord) sont les plus violents à avoir opposé des Kurdes à des rebelles armés en près de 20 mois de conflit.

Ils ont débuté le lendemain de l'arrivée de troupes rebelles dans ce quartier mixte, contrôlé par les miliciens du Parti de l'Union démocratique kurde (PYD).

Le PYD, branche syrienne du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, kurde turc), mouvement laïque de gauche, affirme être neutre.

Les tensions sont vives entre le PYD, accusé de faire le jeu du régime, et les rebelles vus par les Kurdes comme ayant une feuille de route islamiste.

Mais l'ASL, qui est déjà divisée et sous-équipée, ne peut pas se permettre d'ouvrir un nouveau front avec les Kurdes, quelles que soient les récriminations de sa base.

Un commandant de la brigade al-Tawhid, principale unité de l'ASL à Alep, estime que "ce type de problème ne doit pas se reproduire, car cela rendrait les choses très très compliquées".

Qualifiant les Kurdes de "frères", il avertit néanmoins que cela pourrait changer "une fois le régime tombé". "S'ils ne changent pas, une fois que nous en aurons fini avec l'armée d'Assad, nous nous attaquerons" aux partisans du PKK, lance-t-il.

Mais pour Peter Harling, analyste au sein de l'International Crisis Group, il s'agit avant tout de rhétorique, d'autant que la chute d'Assad est loin d'être acquise.

Dans la ville multiethnique d'Alep, qui fut le poumon économique de Syrie et un creuset où une multitude de communautés ont vécu en paix durant des décennies, les dissensions couvent.

Les rebelles affirment représenter tous les Syriens mais peu de combattants chrétiens, chiites et alaouites sont visibles dans leurs rangs à Alep.

Les secteurs contrôlés par l'ASL sont des quartiers sunnites conservateurs, où les femmes sont couvertes de la tête aux pieds.

Face au point de contrôle de l'ASL à Boustane al-Bacha, une maison pour personnes âgées arméniennes chrétiennes, très endommagée, a été évacuée.

Quand on leur demande ce qui changerait dans une Syrie sans Assad, de nombreux combattants à Alep souhaitent un gouvernement islamique et l'application de la charia (loi islamique).

Abou Mahar, qui affirme contrôler 200 combattants rebelles, accuse le régime de jouer les communautés les unes contre les autres -tout en affirmant que les chrétiens ne sont pas de vrais Syriens.

"Les chrétiens ne sont pas liés au pays", déclare-t-il dans un gymnase transformé en QG rebelle ailleurs à Alep. "Si quelque chose arrive en Syrie, ils prendront tous la fuite".

M. Harling souligne cependant que les relations entre rebelles et chrétiens restent correctes.

"Cela pourrait être bien pire. Ce n'est pas une guerre confessionnelle ouverte, (la Syrie) n'est pas encore le Liban. Cela pourrait le devenir, mais je pense que les deux sociétés sont très différentes," a-t-il déclaré à l'AFP par téléphone.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.