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Turquie: une figure kurde veut croire à la paix, redoute le référendum


Samedi 25 mars 2017 à 06h47

Mardin (Turquie), 25 mars 2017 (AFP) — Malgré un énième séjour en prison, le doyen de la cause kurde Ahmet Türk croit toujours à un règlement pacifique avec Ankara, même s'il redoute les conséquences du référendum sur le pouvoir du président Recep Tayyip Erdogan.

M. Türk, 74 ans, a passé en tout cinq années de sa vie en prison, notamment après le coup d'Etat militaire de 1980, et à nouveau après le putsch manqué du 15 juillet 2016: il a été interpellé en novembre, quelques jours après avoir été démis de ses fonctions de maire de Mardin, l'une des principales villes du sud-est à majorité kurde de la Turquie.

L'interpellation de cette figure charismatique du mouvement politique kurde, dans le cadre d'une enquête en lien avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) classé "terroriste" par Ankara et ses alliés occidentaux, avait suscité une vague d'indignation dans le pays.

Dans une tribune dans le quotidien Hürriyet, le chroniqueur Ahmet Hakan avait alors qualifié Ahmet Türk de personnalité "la plus paisible, la plus opposée à la violence, la plus sage" du mouvement politique kurde.

Relâché début février pour des raisons de santé, ce grand homme aux épais sourcils, porteur d'un pacemaker, reste néanmoins soumis à un contrôle judiciaire et à une interdiction de quitter le territoire dans l'attente de son procès.

"Il n'y a pas d'autre formule que la paix, il n'y a pas d'autre choix que la paix", affirme M. Türk dans un entretien à l'AFP réalisé à son domicile à Mardin.

- 'Pression' -

Commentant d'un ton fatigué sa dernière détention, il la met sur le compte des tensions liées au référendum du 16 avril sur le renforcement des pouvoirs du président Erdogan.

"La Turquie entrant en période de référendum, nous nous attendions (...) à une lourde pression contre le peuple et les politiciens kurdes, et à ce que les politiciens soient à nouveau jetés en prison", dit-il.

Dans le cadre de l'état d'urgence décrété après le putsch manqué en juillet, les autorités turques ont multiplié les suspensions et arrestations d'élus locaux accusés de liens avec les séparatistes du PKK.

Une dizaine de députés du Parti démocratique des peuples (HDP), dont ses deux co-présidents, sont actuellement en détention. Par ailleurs, plus de 80 municipalités du Sud-Est ont vu leurs maires démis de leurs fonctions et remplacés par des administrateurs nommés par le gouvernement.

Pour protester contre ces politiques, Ahmet Türk appelle à voter "non" au référendum sur les pouvoirs de M. Erdogan, même s'il estime que les Kurdes paieront un prix quelle que soit l'issue de ce scrutin qu'il qualifie d'"épreuve".

"Si c'est le +oui+ qui gagne au référendum, ils (les dirigeants turcs) seront convaincus que la politique qu'ils mènent est la bonne, et ils adopteront une politique de pression encore plus forte", affirme-t-il.

"Si c'est le +non+ qui l'emporte, nous pourrions assister à la conduite d'une politique visant à en faire payer le prix aux forces démocratiques, à commencer par les Kurdes", ajoute-t-il.

- 'Ne pas être utopiste' -

Le sud-est de la Turquie est sous tension depuis la reprise des violences entre le PKK et Ankara après la rupture, à l'été 2015, d'un fragile cessez-le-feu visant à mettre fin à un conflit qui a fait plus de 40.000 morts depuis 1984.

Alors que la Turquie est frappée par une vague d'attentats meurtriers notamment revendiqués par la rébellion kurde, une vaste opération militaire a été lancée dans le Sud-Est début mars par les autorités, qui ont également placé de nombreuses villes sous strict couvre-feu.

"Depuis le jour où j'ai commencé à faire de la politique, je suis convaincu que les problèmes se règlent avec le dialogue et le bon sens", maintient Ahmet Türk.

Certes, le gouvernement ne semble pas être dans cet état d'esprit, admet-il, mais "il faut que nous fassions des efforts, il faut convaincre le peuple".

"Cette période n'est pas facile, il ne faut pas être utopiste: la logique, aujourd'hui, est de rayer les Kurdes de la carte, de les faire taire, de les asphyxier", estime M. Türk. "Ce serait une illusion que d'attendre un changement de ces politiques dans la période actuelle, mais nous espérons que lorsque tous verront que (ces politiques) sont sans effet, un nouveau dialogue, un nouveau débat commenceront et que l'on agira ensemble".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.