Vendredi 7 avril 2023 à 19h44
Paris, 7 avr 2023 (AFP) — "Monsieur le procureur, mettez-vous à la place d'un Kurde. Si vous aviez vu tout ça, vécu tout ça, qu'est-ce que vous auriez fait ?" Au procès à Paris de 11 membres du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), le box des détenus s'est transformé vendredi en tribune politique.
Âgés de 24 à 64 ans, ces Kurdes originaires de Turquie, qui ont pour beaucoup obtenu l'asile en France, sont jugés pour extorsion et "financement du terrorisme". Ils sont notamment accusés d'avoir collecté auprès de la diaspora installée dans le sud-est de la France la "kampanya", l'impôt révolutionnaire servant à financer le PKK.
Le PKK, engagé depuis 1984 dans une lutte armée pour un Kurdistan indépendant, est l'ennemi juré de la Turquie qui le classe comme organisation "terroriste", à l'instar de l'Union européenne et des Etats-Unis.
Dénonçant la "parfaite ambiguïté" de l'Etat français dans ses rapports "avec le Kurdistan et les mouvements de libération qui le composent", les avocats de la défense contestent unanimement la qualification terroriste retenue dans ce dossier.
A l'audience et contre l'évidence, les prévenus ont eux pris le parti de nier leur appartenance à l'organisation.
"De toutes façons, on ne peut pas être membre du PKK et habiter en France, les seuls membres du PKK c'est les combattants dans les montagnes", avait balayé Gokhan B., 56 ans, pendant l'instruction.
Tous reconnaissent toutefois une "sympathie" pour l'organisation. "99% des Kurdes soutiennent le PKK. Les autres, soit ils ne se sentent pas Kurdes, soit ce sont des vendus au gouvernement turc", avait aussi expliqué Gokhan B.
Doudoune noire sur le dos, ses cheveux poivre et sel peignés sur le haut de son crâne, il avait écouté depuis le box, sans commenter, la présidente Murielle Desheraud retracer sa fuite de Turquie.
Ses doigts partiellement amputés qu'il montre au tribunal ? A cause du "froid" pendant cette épopée. "Certaines personnes ont pu dire que l'amputation provenait du combat, que c'était une blessure de guerre", tente la présidente, sans succès.
- "Viscéral" -
Au bout de plusieurs heures d'interrogatoire, c'est finalement le procureur antiterroriste qui le fera parler.
"Vous avez déjà été condamné pour des faits très similaires", en 2017, lui dit Xavier Laurent.
Comme les autres et malgré la montagne de preuves, Gokhan B. assure qu'il n'a jamais collecté d'argent pour le PKK, encore moins sous la menace. Tout au plus a-t-il récolté des "dons", volontaires, pour les activités culturelles et sociales d'une association kurde.
"Je ne fais pas mystère du fait que je ne le crois pas et que je demanderai probablement sa condamnation", poursuit le magistrat, qui "perçoit" l'attachement "viscéral" de Gokhan B. au peuple kurde.
Alors "comment peut-il me rassurer sur le fait qu'on ne le retrouvera pas une troisième fois dans une troisième affaire ?", demande-t-il au prévenu, via l'interprète.
"Monsieur le procureur vous pouvez me considérer comme un militant", répond Gokhan B. "Vous auriez fait exactement la même chose que ce que j'ai fait pour mon peuple si vous aviez mon parcours".
Celui qui n'avait lâché que quelques phrases jusque-là se lance dans une tirade d'une vingtaine de minutes.
"Je me souviens comme dans un film quand les militaires sont arrivés dans mon village. Ils ont tué mon chien, ont brûlé mes bêtes. Ils ont déshabillé les femmes. Les militaires de l'armée turque ont violé les femmes, j'entends encore leurs cris".
"J'étais jeune, un jeune Kurde et j'ai vécu tout ça. Je ne suis pas le seul, il y a des dizaines de milliers de Kurdes qui ont vécu et subi tout ça".
Le procureur essaie de l'interrompre, rappelle sa question sur son avenir.
"Dans ces dossiers, vous regardez la balance de la justice que sous un angle, essayez de regarder des deux côtés", poursuit Gokhan B., qui élève un peu la voix.
"Je ne suis pas un terroriste je n'ai jamais fait partie d'une organisation terroriste. Si vous justifiez que j'ai eu des liens ou que j'ai aidé une organisation terroriste, vous pouvez m'envoyez 50 ans en prison".
Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.