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Kurdes tués à Paris: la communauté kurde refuse de croire à une attaque non ciblée et met en cause la Turquie


Lundi 26 decembre 2022 à 19h48

Paris, 26 déc 2022 (AFP) — "Cessez de nous demander de croire à cette version": la communauté kurde refuse d'accepter que l'attaque qui a tué trois de ses membres à Paris relève du crime raciste d'un homme isolé et continue d'y voir la main de la Turquie.

"Le régime fasciste d'Erdogan a encore frappé", a martelé lundi au mégaphone Agit Polat, le jeune président du Conseil démocratique kurde en France (CDK-F) lors d'une marche organisée à Paris en mémoire des victimes.

Dans toutes les têtes, et sur la rangée de portraits brandis au premier rang, affleure le souvenir du triple assassinat, jamais élucidé, de trois militantes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) le 9 janvier 2013 à Paris.

Le parcours de la marche, qui a réuni quelques centaines de participants, a relié symboliquement le centre culturel kurde visé vendredi à l'immeuble de la rue La Fayette, non loin de là, où ont été abattues les trois militantes il y a dix ans.

Répidement arrêté, leur assassin est mort d'un cancer en 2016 quelques semaines avant son procès.

Mais même si les parties civiles ont obtenu en 2019 la relance de l'enquête pour examiner l'éventuelle implication des services de renseignement turcs, les Kurdes de France doutent depuis de l'impartialité de la justice française.

"Pour nous, c'est évident, il (le tireur présumé de vendredi, ndlr) n'a pas pu agir seul, il y a un lien avec la Turquie", affirme un participant à la marche, Denis "malheureusement" Erdogan, qui regrette de partager le même patronyme que celui du président turc Recep Tayyip Erdogan.

- "Propagande" -

Le gouvernement turc n'a guère apprécié les accusations de la communauté kurde de France.

Trois jours après l'attaque, il a convoqué l'ambassadeur de France en Turquie pour exprimer son "mécontentement" face à ce qu'il considère comme de la "propagande anti-Turquie" lancée "par les cercles du PKK", selon une source diplomatique turque.

Le PKK est considéré comme un mouvement terroriste par Ankara et l'Union européenne (UE).

Le suspect de l'attaque de vendredi, un ancien conducteur de train de nationalité française âgé de 69 ans, a confié en garde à vue une "haine des étrangers pathologique" depuis un cambriolage dont il a été victime en 2016 et expliqué "s'en être pris à des victimes qu'il ne connaissait pas".

Il a aussi déclaré, selon la procureure de Paris Laure Beccuau, en vouloir "à tous les migrants" et "aux Kurdes pour avoir +constitué des prisonniers lors de leur combat contre Daech (l'organisation Etat islamique, ndlr) au lieu de les tuer+".

Agit Polat, qui estime que le tireur présumé a pu être manipulé lors de son passage en prison, se dit "incrédule" face aux premiers éléments de l'enquête révélés par la procureure.

"En vingt-quatre heures, on évoque le cas psychiatrique puis en fait non", détaille-t-il en référence à la levée, pour raison de santé, de la garde à vue du suspect, admis quelques heures à l'unité psychiatrique de la préfecture de police de Paris.

- "Décision politique" -

"On essaie à tout prix d'éviter la saisine du parquet antiterroriste", insiste M. Polat.

Le parquet national antiterroriste (Pnat) ne s'est pas, à ce stade, saisi de l'enquête sur l'attaque de vendredi.

L'avocat des familles des trois militantes tuées en 2013, Me Antoine Comte, a souligné lui aussi "l'incompréhension" de la communauté kurde, estimant que la qualification terroriste avait été "retenue pour des faits similiaires en 2013".

"Ça apparaît comme une décision profondément politique. Visiblement, le parquet ne veut pas prendre le risque d'incriminer l'Etat turc même de façon subliminale", a-t-il dit à l'AFP, "c'est un problème géopolitique".

Depuis vendredi, aucun membre de cette communauté de réfugiés kurdes de Turquie, d'Irak ou d'Iran, ne veut croire que les victimes de vendredi sont mortes d'un banal acte xénophobe qui n'aurait rien à voir avec le mouvement de libération kurde et son conflit avec le régime turc.

La communauté kurde se perçoit "laïque, travailleuse et intégrée", selon les mots d'un jeune employé de restaurant qui a requis l'anonymat, et ne figure pas parmi les cibles habituelles de l'ultradroite française.

La journaliste et militante kurde Selma Akkaya évoque le sentiment de sa communauté; un phénomène "de surimpression des images de 2013".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.